Le centre du monde
Sans doute la plus vaste installation vidéo et Internet jamais montrée et montrée à Paris occupant au sol une surface de 350 M2 sur deux niveaux à l'Espace Cardin.
1999 Le Centre du Monde, Espace Cardin
Préfacé par Pierre Restany
Sans doute la plus vaste installation vidéo et Internet jamais montrée et montrée à Paris occupant au sol un surface de 350 M2 sur deux niveaux. Disposant d’écrans à diodes sur une longueur d’une quinzaine de mètres. L’artiste grâce une fois de plus à son énergie peu commune et son démarchage de grandes firmes a obtenu tous les moyens techniques lui permettant de réaliser cette installation remarquable et son décor. Cette installation participative qui fonctionne à partir d’un site Internet et qui propose dans une fenêtre de rédiger un bref texte sur l’idée du Centre du Monde. Aussitôt ce message circule sur toute la longueur de nos écrans, se croisant en musique avec d’autres messages qui nous parviennent en continu du monde entier.
La musique est générée par notre système audio tandis qu’au fonds d’un puits central tous les messages envoyés génèrent une boule lumineuse qui simule un Centre du monde coloré et dynamique.
Les internautes qui ont envoyés un message peuvent depuis chez eux le voir apparaître quelques secondes plus tard sur leur écran grâce aux nombreuses webcams installées. Deux postes de télécommandes Internet sont mis à la disposition des visiteurs sur place à l’espace Cardin afin de pouvoir envoyer des messages et les voir quelques instants plus tard se concrétiser sous leurs yeux.
Merci vivement à Madame Cardin, alias Sylvana Lorenz, qui a contribué avec tout son charme à la réussite de ce projet, alors qu’elle était, à l’époque, directrice de l’Espace Cardin… et à Christian Valezy mon génial metteur en son qui a su créer une fois de plus, une musique d’accompagnement parfaitement adaptée et enfin à Jean-Bastiste Pontecorvo mon régisseur et graphiste plein de talent et d'ingéniosité. Merci!
Le centre du monde existe-t-il encore, quelque part, à l'heure de la société d'information et de communication généralisée ?
Le centre du monde s'il existe jamais encore, au moment où les réseaux se croisent et s'entrecroisent dans le Cyberespace d'une façon si serrée, est en passe de perdre son statut et sa place.Il est condamné à se dissoudre dans le bain électronique dans lequel nous sommes désormais tous immergés. Le centre du monde est maintenant à la fois partout et diffus, c'est à dire, paradoxalement nulle part ! ! ! Le centre du monde que chacun d'entre-nous porte en soi, comme un axe d'équilibre nécessaire, cherche à retrouver, ses repères, ses appuis, ses marques, son assise intérieure qui vacille. L'individu plongé dans un magma d'informations fragmentées en subit les assauts et les flux toujours plus denses, plus inextricables. De la situation de point central « unique » et « irremplaçable », à la fois géographique, spatial, idéologique, philosophique, qu'il représentait jadis, le centre du monde n'est plus aujourd'hui qu'une surface dilatée aux dimensions indéfinies d'une nébuleuse que des experts savants et patentés nomment le «global ». Un non-lieu paradoxal tandis que s'exacerbent, ici ou là, comme d'ultimes résistances, des nationalismes anachroniques et des régionalismes de folklore qui tentent un combat perdu d'avance contre l'évolution irréversible et la délocalisation généralisée. Il faut bien le constater : le centre du monde, comme nous le vérifions chaque jour, a entamé son processus de lente désagrégation qui l'amène peu à peu à se déplacer, à se disperser, à s'effacer.
A être ici ou là, au gré des circonstances et des connexions. A se multiplier à l'infini dans des circulations imprévisibles pour l'homme mais toujours objet, par contre, de programmations implacables en langage binaire « pour » et « dans » la machine. Avant de courrir le risque qu'il ne disparaisse à jamais, ce centre du monde, nous avons pensé qu'il serait légitime de lui consacrer une sorte de dernier hommage, d'intervenir sur ce qu'il en reste encore d'identifiable, et tant que faire se peut, « ramasser» ses éclats dispersés, les réunir à nouveau, pour le donner à voir, une fois encore, au moins, dans son intégralité, sa splendeur et sa singularité, avant qu'il ne disparaisse peut-être pour toujours, définitivement, englouti et digéré, dans un processus historique dans lequel l'aventure de l'homme et ses séquelles anthropomorphiques n'auront été, qu'accident sublime et dérisoire. Si ces vingt dernières années, l'homme a colonisé la lune, envoyé ses robots et ses sondes dans l'espace intersidéral pour tenter de laisser son empreinte sur les territoires les plus lontains, il a compris qu'avec le Cyberespace la distance, et par conséquent l'espace, étaient désormais abolis par la communication électronique instantanée. Devant nos yeux ébahis, le monde « tout entier » peut être maintenant convoqué, d'un seul geste de la main, sur la surface lisse et plane d'un moniteur. Un miroir à travers lequel l'imaginaire de l'homme, connecté à l'univers, ne connaît plus aucune limite, ni spatiale, ni temporelle.
Dans cette situation historique il peut paraître à la fois naïf et présomptueux qu'un artiste prétende, pour trois jours consécutifs, reconstituer le « centre du monde » et l'offrir ainsi au creux de sa main, joyau précieux, comme le coeur névralgique de la communication planétaire. Il sait bien qu'il ne peut y parvenir tout seul... et c'est bien pour cela qu'il invite, aujourd'hui, sur le réseau, tous les internautes de bonne volonté à contribuer par un travail coopératif à « retrouver », ne serait-ce que le temps d'une connexion ce centre là. Ce centre qui est pour nous tous comme l'alpha et l'oméga, où peut se butiner encore tout ce qui reste du sens. Sans doute, alors, le centre du monde, comme nous l'avons toujours connu, ce lieu de méditation et d'équilibre que chacun porte en soi, restera-t-il encore présent en nous, malgré la fluidité et la mouvance des réseaux, la fureur des images, pour peu que nous sachions le « refonder » ce centre, autant de fois qu'il sera nécessaire, avec une lucidité et une vigilance qui ne devront jamais se laisser distraire, ni abuser, par l'unique fascination des machines.
1999 LE CENTRE DU MONDE DE FRED FOREST PAR PIERRE RESTANY
Texte publié à l’occasion d'une création de Fred Forest à l’Espace Pierre Cardin en septembre 1999.
TEXTE DE PRÉSENTATION DE PIERRE RESTANY
Comment parler de " Centre du Monde " dans l'art d'aujourd'hui ? À moins de s'en tenir à une Lapalissade : " dans l'ego hypertrophié de l'artiste, l'art a toujours été le centre du monde… " En fait le problème majeur de l'art, qui a toujours été celui de la communication, a été résolu de façon définitive à travers l'irrésistible dynamique des nouvelles technologies de l'information. En s'affranchissant tout naturellement des supports traditionnels, l'art est devenu le grand vecteur humaniste de la communication, tant visuelle qu'audiovisuelle. On a longtemps cherché à attribuer la crise de la peinture à celle de l'image peinte. Le problème se pose au niveau de la peinture à l'huile et il s'y enlise. L'image digitale ou électronique est en parfaite santé. Elle décrit parfaitement le monde de l'an 2000 comme la fresque représentait parfaitement le monde de 1400, l'huile sur toile le monde de 1600, la photographie impressionniste le monde de la seconde moitié du XIXe siècle.
L'extraordinaire vitalité de l'image digitalisée ou de celle qui apparaît dans un CD-Rom, une séquence vidéo ou un site Internet, est due à sa parfaite adéquation à la spécificité de son support organique. L'image vidéo, le photogramme du CD-Rom, le digital print adhèrent parfaitement à leur support et à sa finalité communicatrice. Le processus est parfaitement homogène quel que soit le lieu de sa mise en œuvre. Quand on pensait autrefois au centre du monde de l'art, on pensait à l'endroit où se fabriquaient les plus belles images. Aujourd'hui les belles images se produisent partout et leur potentiel d'auto, transmission interactive est sans limites. Les mauvaises images sont celles qui ne communiquent pas, Celles que le scanner définit mal ou celles qui passent mal sur le Web. Le critère esthétique est désormais implacablement lié à la bonne transmission du message. L'art qui ne communique pas n'est pas l'art.
Devant cette normalisation éthico-esthétique de la culture globale, le concept d'esthétique de la communication revêt toute son ampleur. L'art qui ne communique pas n'est plus de l'art. Il faut faire confiance au pionnier-poète de la communication comme Fred Forest pour que soit préservée tout au long de leur stratégie interrogative, la présence des valeurs humanistes individuelles sur lesquelles se fonde le filon créateur et poétique de notre culture globale. Ce qui est en cause aujourd'hui dans les domaines qui nous ont été ouverts par la technologie de pointe ce ne sont pas les phénomènes d'appropriation du réel mais la valeur spécifique des situations individuelles qui sont immédiatement transmises. L'image électronique de la télévision est capable de nous faire entrer dans un fragment d'espace-temps original et spécifique par rapport aux potentialités visuelles proches, voisines ou presque analogues de la photographie ou du film. La peinture digitale nous familiarise avec une approche à la fois directe et synthétique du réel à une sensation identitaire qui est l'expression d'une approximation analogique. Nous n'avons en aucun cas l'impression que l'information visuelle qui nous est proposée est plus pauvre ou plus faible que celle d'un original qui serait fixé à la peinture à l'huile sur une toile ou reproduit photo-mécaniquement sur un format carte postale.
Les stratégies opérationnelles de l'art sociologique ou de l'esthétique de la communication sont à l'origine d'une série d'images qui nous saisissent et nous conquièrent par la sensation de vérité gratifiante qu'elles nous inspirent. Les critères du goût changent et influencent de manière définitive notre pouvoir émotif et réceptif. Nous passons du beau au vrai et ce critère décisif ne se réfère plus à un idéal de beauté qui serait défini péremptoirement par le " Centre du Monde " mais à un constat positif et gratifiant d'une vérité que nous percevons comme universellement diffuse dans notre expérience du quotidien. Événements, installations vidéo, performances sont aujourd'hui produits indistinctement, sans incidence de qualité ou de priorité hiérarchique, à New York comme à Kuala Lumpur, à Paris ou Londres comme à Dakar ou La Havane. Au sein de cet espéranto planétaire, on ne reconnaît ni centre ni périphérie mais l'émergence d'une pulsion vitale, riche en kilowattheures de poésie spontanée, et qui témoigne de la globalité d'un désir d'expression interactive. Le Centre du Monde est ainsi partout et nulle part, c'est à travers les pulsions de ce magma chaotique que l'homme doit assumer l'intégrité et l'unicité de son être. Dans cette globalité dépourvue de centre, l'homme se doit plus que jamais " d'être là ". Heidegger avait raison lorsqu'il s'inquiétait du destin de l'art dans notre société industrielle. S'il était encore vivant, il ne croirait certainement pas au Centre du Monde et il aurait cherché dans l'esthétique de la communication une clef de lecture (et d'espoir) du magma chaotique de notre globalité.
Pierre Restany
Paris le 17 juillet 1999
http://www.webnetmuseum.org/html/fr/reflexion/pierre-restany/22_centredumonde.htm#text
Biographie longue de Fred Forest
Fred Forest a une place à part dans l’art contemporain. Tant par sa personnalité que par ses pratiques de pionnier qui jalonnent son œuvre. Il est principalement connu aujourd’hui pour avoir pratiqué un à un la plupart des médias de communication qui sont apparus depuis une cinquantaine d’années. Il est co-fondateur de trois mouvements artistiques : ceux de l’art sociologique, de l’esthétique de la communication et d’une éthique dans l’art.
Il a représenté la France à la XIIème Biennale de São Paulo (Prix de la communication) en 1973, à la 37ème Biennale de Venise en 1976 et à la Documenta 6 de Kassel en 1977.
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