Le petit musée de la consommation
Cette action vidéo illustre une action de 1973 au cours de la XIIème Biennale de Sao Paulo. Une réplique dont son idée de départ est de réaliser une investigation sociologique par la vidéo de la rue Augusta comme Fred Forest l'a fait rue Guénégaud à Paris.
Présentation
Cette action vidéo illustre une action de 1973 au cours de la XIIème Biennale de Sao Paulo. Une réplique dont l' idée de départ est de réaliser une investigation sociologique par la vidéo de la rue Augusta comme il l'a fait rue Guénégaud à Paris. La rue Augusta est à l’époque une des rues les plus commerçantes de Sao Paulo. Commerces de luxe, de vêtements, restaurants à la mode. Un lieu social très actif où la jeunesse se donne rendez-vous, remontant et descendant la rue en automobiles. Se hélant au passage d’une voiture à l’autre pour obtenir d’hypothétiques rendez-vous. Internet et les portables n’existant pas encore à l'époque ... D’autre part descendant en pente douce vers son extrémité basse la rua Augusta a retenu l’attention de Fred Forest. Dans sa partie haute de la rue est ouverte une Galerie tenue par une jeune femme dénommée Malvina dont l’époux, directeur de Ford Brasil n’hésite pas à suivre régulièrement les cours à la Faculté de médecine sur les bancs au coude à coude avec de jeunes étudiants.
Etant donné la situation topographique de la Galerie d’art de Malvina avec cette vue en pente douce tout au long de la rue, Fred Forest voit là l’occasion d’y faire une installation semblable à celle qu’il vient de réaliser à Paris à la Galerie Germain sous le nom d’autopsie électronique de la rue Guénégaud. Une caméra Philips en circuit fermé est accrochée sur le poteau électrique qu’on aperçoit sur la photo devant la Galerie sur le trottoir. Cette caméra renvoie sur toute la longueur de la rue Augusta son image sur un mur écran composé d’une quinzaine de téléviseurs Colorado à l’intérieur de la galerie de Malvina.
Les jours précédents Forest a descendu la rue Augusta faisant la collecte chez les divers commerçants d’objets. (Colifichets variés, boîtes de médicaments, casquettes de sport, boîtes de conserves chez les épiciers, livres de cuisine, tringles de rideaux, bouteilles de Batida de coco etc.) II organisera le tout en référençant méticuleusement tous ces objets hétéroclites dans des vitrines pour donner à voir son petit musée de la consommation.
Il réalise ainsi avec cette installation synthétique, une investigation vidéo de l’espace à distance de la rue dont les objets présents devant les visiteurs offrent à l'œil des visiteurs une approche sociologique parfaite de la rue Augusta en cette année 1973 à Sao Paulo ! La presse brésilienne abondante confirmera ce succès significatif de l'art sociologique un an avant la création du Collectif...
Fred Forest, compte tenu du succès exceptionnel obtenu au cours de la XIIème Biennale de Sao Paulo voit les demandes de galeries affluer vers lui. Il en choisit une rue Augusta pour sa situation tout en haut qui lui permettra à l’aide d’une installation avec un circuit fermé de TV d’avoir une vue plongeante sur toute sa longueur. Mais à cette époque les galeries qui exposent essentiellement de la peinture ne sont pas en mesure d’obtenir les moyens techniques nécessaires à la réalisation d’une telle installation. L’artiste avec son énergie habituelle prend en charge à lui seul cette recherche. Il hèle un taxi et se rend dans la banlieue de Sao Paulo où se trouvent les usines de COLORADO le premier fabricant à l’époque de téléviseurs au Brésil. En mettant sous les yeux de la réception quelques articles de presse récents, il est reçu sans rendez-vous par le Directeur à qui il expose son projet qui nécessite une vingtaine de moniteurs. Il repartira sa demande satisfaite. Lui reste maintenant à trouver une caméra extérieure assez puissante pour alimenter le mur d’écrans qu’il compte installer dans la galerie. Objet très rare à l’époque que cette caméra, ses investigations lui permettent d’apprendre qu’il n'en existe que trois au Brésil qui sont détenues par la société Philips. Reçu peu après par le Directeur de Philips Brasil ce dernier accepte de la lui mettre à disposition pour trois semaines. Affaire conclue, l’artiste gère la communication à l’aide de la galeriste qui se nomme Malvina et tout s’avère prêt quatre jours avant pour un nouveau succès. Quand patatras ! un message de Philips parvient à la Galerie faisant connaître que contrairement à ses engagements la caméra en question ne pourra pas hélas être mise à disposition devant partir pour le nord du Brésil pour satisfaire un marché en cours fort important… Malvina effondrée tombe en sanglots alors que l’artiste imperturbable prend sur le champ un taxi pour se rendre au siège de la société Philips. Par chance son Directeur général qui voyage beaucoup est présent dans ses bureaux ce jour-là. Sans doute ayant tout de même le souci de s’ excuser il reçoit l’artiste.
Ce dernier comme lui-même ne parlant que leur propre langue c’est sa secrétaire qui servira d’interprète … approximative. D’emblée Forest demande à la secrétaire hésitante de répéter les mots simples qu’il dit à son patron en le regardant droit dans les yeux alors que ce dernier se confond en plates excuses.
- Forest : Vous allez, cher Monsieur, mettre votre caméra à ma disposition …
- Le directeur de Philips : Non ce n’est pas possible car cette caméra doit partir à Fortaleza pour un marché très important pour nous …
- Forest : Comme un disque rayé qui se remet à marcher : Je vais vous expliquer pourquoi, Monsieur le Directeur, vous allez mettre cette fameuse caméra à notre disposition …
- Le directeur interloqué reste sans un mot…
- Forest : Vous allez me la prêter car nous n’allons rien annuler et le jour du vernissage les nombreux journalistes qui viendront auront sous les yeux un bandeau barrant l’entrée sur lequel ils pourront lire : Philips Brasil a été incapable d’assurer la mise en technique vidéo de cette exposition.
L’exposition s’est donc ouverte au jour prévu avec la caméra et le succès attendu pour Philips Brasil 😊
Concept
Variante de l’installation réalisée à la Galerie Germain de Paris. En temps réel, c’est l’activité de la rue Augusta, une rue extrêmement commerçante, qui est renvoyée en continu sur un mur écran de 40 moniteurs. Dans des vitrines sont disposés des articles et objets divers qui ont été collectés dans les boutiques qui longent de part et d’autre cette rue. Dans leurs vitrines les objets sont référencés et datés (accompagnés de notices explicatives quelque peu ironiques…) comme le sont les pièces présentées dans les musées.
Dispositif
- 40 téléviseurs Colorado,
- 1 caméra Philips, installée à l’extérieur prenant la rue en enfilade,
- 7 vitrines d’expositions présentant des objets empruntés aux commerçants de la rue Augusta.
- " O pequenio museum de Fred Forest ", Fohla de São Paulo, 14 décembre 1973
- " Na portal a arqueologia da rua Augusta ", Fohla da tarde, 10 décembre 1973
- " Hoja, uma Autopsia ", Ultima Hora Sao-Paulo, 10 décembre 1973
- " Autopsia da rua Augusta, bistouri na TV " , Vega, N° 276, décembre 1973.
- https://www.artpress.com/wp-content/uploads/2014/12/3019.pdf
Biographie longue de Fred Forest
Fred Forest a une place à part dans l’art contemporain. Tant par sa personnalité que par ses pratiques de pionnier qui jalonnent son œuvre. Il est principalement connu aujourd’hui pour avoir pratiqué un à un la plupart des médias de communication qui sont apparus depuis une cinquantaine d’années. Il est co-fondateur de trois mouvements artistiques : ceux de l’art sociologique, de l’esthétique de la communication et d’une éthique dans l’art.
Il a représenté la France à la XIIème Biennale de São Paulo (Prix de la communication) en 1973, à la 37ème Biennale de Venise en 1976 et à la Documenta 6 de Kassel en 1977.
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