Varsovie
J’étais parti de Paris en train. Le voyage durait 24 heures sans interruption après une formalité d’une heure passée dans les locaux du poste de police du mur de Berlin. J’avais pris avec moi mon Portapak vidéo qui ne me quittait jamais...
1975- EXPO VIDEO GALERIA WSOOKCZESNA, VARSOVIE
Texte de Vilém Flusser
Participants sur la photo de gauche à droite :
Rabascal, Sosno, Antony Muntadas, Jean-Pierre Bertand, Fred Forest, Hervé Fischer.
Nous étions 6 artistes à être invités à participer à l’occasion de cette expo à Varsovie dont la préface avait été confiée à Vilém Flusser.
J’étais parti de Paris en train. Le voyage durait 24 heures sans interruption après une formalité d’une heure passée dans les locaux au poste de police du mur de Berlin. J’avais pris avec moi mon Portapak vidéo qui ne me quittait jamais. Dans mon compartiment un voyageur Français qui se rendait également à Varsovie me voyant avec mon équipement, étonné me demande : « Comment et où pouvait-on formuler une demande pour transporter un tel équipement ? » J’appris donc de sa bouche sur le champ que le matériel des enregistrements vidéo était considéré comme du matériel d’espionnage et absolument interdit… Comme j’étais lancé maintenant après Berlin à la vitesse maxi d’une locomotive à vapeur, poussive, vers Varsovie, j’étais dans l’impossibilité de faire quoi que ce soit. Coincé ! J’étais coincé et me voyais déjà croupir dans un Goulag au fin fond de steppes désolées de l’URSS. Les douaniers Russes étant intraitables, Varsovie étant sous la coupe de l’URSS, je m’en remis nécessairement à ma bonne étoile. Quand, à quelques kilomètres de l’arrivée, la glissière s’entre bailla et que la tête d’un douanier apparut mon cœur cessa de battre. Ce dernier jeta un coup d’œil circulaire et referma d’un coup sec la glissière qu’il venait à peine d’ouvrir. J’avais bien tenté de glisser mon Portapak sous la banquette mais quelle que soit sa position, il laissait toujours apparaître une partie de sa housse de cuir… En allongeant les jambes par-dessus la banquette où j’étais installé j’espérais que les douaniers n’y verraient rien ...
Arrivé à mon hôtel, un grand bâtiment au luxe défraichi où nos hôtes m’avaient réservé ma chambre au quatrième étage, au bout du large couloir, j’aperçus une sorte de « grand-mère » endormie sur une chaise, chargée sans doute de surveiller les allées et venues des clients… Dans ma chambre, deux fenêtres s’ouvraient sur la rue protégée par des rideaux de velours aux couleurs passées. Ne résistant pas à la tentation, je les entr'ouvrais et découvrais la rue 4 étages plus bas à travers la vitre. Ayant sorti mon Portapak de sa housse (outil d’espionnage selon les termes de la nomenclature policière) je filmais les rares passants qui se présentaient... Ainsi que les voitures qui circulaient, à tour de rôle dans le carrefour situé au pied de l’immeuble que j’occupais. Elles débouchaient, une à une, laissant de longs moments l'espace de la rue totalement vide. L’idée fugitive me vint alors d’utiliser le document que je réserverai après montage à un arrêt fictif du temps, alors que les voitures continuaient, elles, à déboucher une à une, chacune de leurs voies respectives. Se télescopant au final au centre du carrefour pour former une masse compacte, s’élevant peu à peu à la hauteur de ma fenêtre au 4 ème étage de l’Hôtel Luxor à Varsovie…
Biographie longue de Fred Forest
Fred Forest a une place à part dans l’art contemporain. Tant par sa personnalité que par ses pratiques de pionnier qui jalonnent son œuvre. Il est principalement connu aujourd’hui pour avoir pratiqué un à un la plupart des médias de communication qui sont apparus depuis une cinquantaine d’années. Il est co-fondateur de trois mouvements artistiques : ceux de l’art sociologique, de l’esthétique de la communication et d’une éthique dans l’art.
Il a représenté la France à la XIIème Biennale de São Paulo - Prix de la communication - en 1973, à la 37ème Biennale de Venise en 1976, à la Documenta 6 de Kassel en 1977 et a été exposé au CENTRE POMPIDOU en 2017 et 2024.