Rituels télématiques pour nuits blanches

CERCLE ARCTIQUE, U.R.S.S. - 4 AU 26 AOÛT 1989

Un jour, de bon matin, le téléphone sonne sur le Territoire du M2. Un homme qui se présente comme étant Misha Lobko (que je ne connais pas !) me demande : « Voulez-vous vous rendre avec trois autres artistes avec moi au Cercle arctique ? Je connais votre travail qui m’intéresse. Si le voyage vous tente vous avez deux jours pour me faire parvenir votre projet et nous partons en fin de semaine ». Mon projet que j’improvise sur le champ : me rendre sur place pour prouver que les scientifiques se sont tous trompés mais que le cercle arctique est en fait non pas un cercle mais un carré d’un mètre sur un mètre…

Rendez-vous à l’aéroport d’Orly où je fais connaissance de Misha, de sa secrétaire, de ses deux cameraman et des deux jeunes femmes artistes choisies qui nous accompagnent. Au cours du voyage Misha m’explique qu’il a reçu un budget pour réaliser des films sur les Kolkhozes Soviétiques et qu’amateur d’art contemporain il en détourne une partie pour faire ce film avec nous. Avant d’arriver au Cercle Arctique il nous faut emprunter plusieurs fois l’avion, des bus brinquebalants, des tortillards d’une lenteur incroyable qui nous permettent en passant par Saint Petersburg de découvrir l’Union soviétique profonde. Tout au long du voyage je rédige un carnet de bord où j’exprime mes réflexions mais où aussi je colle aussi bien les tickets des estaminets où nous nous arrêtons pour avaler un yogourth en coup de vent, aussi bien qu’un thé chaud. Je découvre les qualités de Misha de parents russes qui nous materne individuellement avec les soins attentifs d’un père de famille pour ses progénitures... Je ne me souviens pas des noms des très nombreuses villes et villages que nous traversons. Misha règle tous les cas difficiles que nous rencontrons avec des bouteilles de vodka qu’il héberge et sort de ses larges poches miraculeusement au bon moment et nous avançons vers notre destination. Comme nous sommes au printemps les rivières que nous empruntons sur des embarquements de fortune ne sont plus gelées et nous arrivons ainsi près d’Arkhangelsk après un arrêt d’une quinzaine dans une petite ville dans l’attente d’autorisations administratives. Nous sommes dans une région interdite aux étrangers du fait de la présence de sous-marins nucléaires. Dans cette situation d’attente Misha qui se démène avec ses bouteilles de vodka pour qu’on puisse conserver nos chambres d’hôtel où pour trouver un véhicule qui nous transporte à quelques kilomètres de là pour faire un tournage sur un site qu’on lui a signalé. Misha nous a expliqué en tant que coach que lorsqu’on arrivé quelque part avec ses bouteilles de vodka qu’il avait tour à tour trois interlocuteurs à abreuver : les militaires, les politiques et les administrations du parti ! Chaque fois que nous nous arrêtons dans une bourgade où il m’accompagne au bureau de poste d’où j’expédie des télégrammes à destination d’Académie des Science du monde entier pour leur faire connaître l’état d’avancement de mes recherches sur le M2 arctique.

Concept

Faire la démonstration artistique que les scientifiques se sont trompés ! Contrairement aux connaissances admises, le Cercle arctique n’est pas un cercle, mais bien un carré d’un mètre sur un mètre.
L’action se développe au cours d’un voyage qui le mène au Cercle arctique et consistera en une série de mesures qu’il effectue jusqu’au terme de son voyage. Au fur et à mesure de ses relevés, l’hypothèse de l’artiste se confirme. Malheureusement lors de son dernier relevé à la perpendiculaire du Cercle arctique lui-même, une défaillance malencontreuse de la technologie rend impossible la lecture du résultat.
Le doute de ce fait subsiste encore… en attendant une seconde expédition polaire montée sur de mêmes objectifs scientifiques de recherche. Il s’agira de mettre en relation visuel, tout au long de l’action, les symboliques respectives du cercle et du carré.

Dispositif

• Une équipe vidéo de 3 personnes, dirigée par Michka Lobko
• Un navire de croisière et une navire brise-glace
• Un Mac SE 30 portable, première génération
• Un oscilloscope
• Un sonar ultrasons portatif
• Un carnet de bord et un crayon
• 27 bouteilles de Vodka

Au cours d'un voyage qui le mènera successivement à Moscou, Leningrad, Arkhangelsk, sur les bords de la Mer blanche, dans le grand nord soviétique, Fred Forest va tenter de démontrer expérimentalement la " quadrature " du cercle polaire en utilisant un Mac SE 30 portable.
Cet équipement, spécialement adapté lui permettra d'entretenir des liaisons permanentes, simultanément avec cinq continents ; vers lesquels il transmettra, au jour le jour, le résultat de ses mesures (Cité des Sciences et de l'Industrie, Paris - Canadian Museum of Civilisation, Hull, Canada - Center of Art and Communication, Buenos Aires - Centre Culturel d'Abidjan, Afrique - Musée d'Art Contemporain Tokyo, Japon).
Ensuite, il descendra le fleuve Severnaïa Dvina pour rejoindre un monastère situé à Welikii Ouistiouk. Sur place, au cours des dernières nuits blanches de l'été arctique, selon un rituel donné, il effectuera la synthèse symbolique du temps et de l'espace dont l'alchimie n'est possible qu'à ce moment précis de l'année.
Au seuil du troisième millénaire, prétend-il, les artistes sont les derniers chamans d'aujourd'hui qui contribuent à fonder les nouvelles mythologies du temps électronique... Sur la route du retour, il effectuera une performance sur la Place Rouge devant les portes du Kremlin qui donnera lieu à une intervention policière, sans suites.
Tout au long de son voyage, l'artiste a tenu un carnet de bord qui rend compte de ses calculs et observations, transmis par télégrammes à l'Académie des Sciences de Moscou, et de nombreuses personnalités scientifiques...

Malheureusement j’ai été affecté soudain par un eczéma le long des jambes. Misha toujours aussi attentif m’a conduit chez le médecin militaire. (Le seuil médecin qu’il était possible de consulter) Celui-ci m’a examiné rapidement avant de s’en retourner vers son bureau se murant dans le silence. Les deux coudes sur sa table de travail la tête entre les mains. Au bout d’un très long moment j’ai interrogé Misha du regard. Ce dernier m’a fait chut du doigt et à voix basse il m’a confié que le médecin avait du mal à faire un diagnostic car j’étais un étranger et qu’une erreur de sa part pourrait lui être fatale à un titre ou à un autre…

Bref, je me remettais rapidement et Misha me demanda de l’accompagner à l’administration maritime pour procéder à la location d’un navire qui nous ramènerait vers le sud au retour par la Dvina. Un navire avec pour équipage une vingtaine de marins avec une trentaine de cabines de Première classe dont j’eu droit à trois cabines pour moi seul ! Deux artistes musiciens s’étaient ajouter à nous à Moscou dont l’un Alexandr Alexandrof avec qui je préparai à l’avance une nouvelle action en lui passant commande d’une œuvre titrée « Ballade pour changement de régime en douceur » qui se jouerait par téléphone entre Paris et Moscou…

Misha continuer de m’accompagner fidèlement dans tous les bureaux de poste des villes traversées d’où j’envoyais des télégrammes à des scientifiques du monde entier pour les aviser de l’avancée de mes recherches sur l’hypothèse du cercle arctique qui selon moi n’est pas un cercle mais bien un carré d’1m x 1m ! Mais déception majeure arrivé au terme de mon voyage je ne pus enregistrer mon dernier relevé à cause d’une panne soudaine de mon équipement informatique. Il faudra donc que les scientifiques du monde entier me croient sur parole. L’espace d’un temps fugitif l’aiguille de mon enregistreur métrique avant de tomber à zéro m’a bien informé que mes prévisions étaient justes et que le cercle arctique est bien un carré d’1 mètre sur 1 mètre !