Alain Snyers et le M2 artistique
Alain Snyers est un ami très proche. Bien que plus jeune que Fred Forest, il a toujours maintenu le contact avec lui, étant présent et/ou participant à ses actions. A Tours, à l’Eglise Sainte Croix en 1969 ou également à sa performance en 2017 pour sa rétrospective au Centre Pompidou.
Alain Snyers est un ami très proche. Bien que plus jeune que Fred Forest, il a toujours maintenu le contact avec lui, étant présent et/ou participant à ses actions. A Tours, à l’Eglise Sainte Croix en 1969 ou également à sa performance en 2017 pour sa rétrospective au Centre Pompidou.
Mais s’étant engagé avec le Groupe Untel, il n’a jamais fait partie de l’art sociologique. Il a participé aussi à une action qu’Hervé Fischer avait organisée à Chicoutimi au Canada au moment où en 1980 le Collectif avait décidé de se saborder. Je lui suis très reconnaissant de l'intérêt très humain qu’il m’a porté. Par exemple, lors de ma rétrospective au Centre Pompidou en 2017, alors que j’étais très occupé, il a décidé d'organiser, à son initiative, un pot chez lui en prenant tout en charge.
Le Collectif a, en effet, essayé d’intégrer d’autres artistes à son travail dès sa formation en 1974 en les associant à une série d’expositions thématiques qui se sont déroulées à la Galerie Germain de Paris et à la Galerie Mathias Fels. Des artistes comme Hans Haacke, le Groupe de Rosario, le Guerrilla Art Action Group, Michel Journiac, Serge Oldenbourg, Joan Rabascall, Sosno et Bernard Teyssèdre, Wolf Vostell. Exemple : l’exposition " L’art contre l’idéologie " présentée par Bernard Teyssèdre du 10 décembre 1974 au 4 janvier 1975, qui a eu lieu à la Galerie Rencontres, avec Jean-François Bory, le Collectif d'Art Sociologique (Hervé Fischer, Fred Forest, Jean Paul Thénot), le Groupe de Rosario (Tucumán Arde), Guerrilla Art Action Group (Jon Hendricks, Jean Toche), Hans Haacke, Michel Journiac, Maccheroni, Serge Oldenbourg, Rabascall, Sosno, Bernard Teyssèdre et Louis Chavignier…
" Le Récit d’une œuvre " réunit l’ensemble des projets –réalisés ou non– d’Alain Snyers entre 1975 et 2015. A travers une approche chronologique et systématique, nous découvrons une démarche inscrite dans l’histoire de l’art et l’Art-Action. Dans une courte introduction, Alain Snyers présente le cadre de son activité d’artiste, et propose, à travers les archives d’une « œuvre vivante » une « matière à réflexion autant pour [lui] que pour le public » (p. 5). Délibérément inscrit dans des espaces non dédiés à l’art, son parcours collectif (il cofonde UNTEL en 1975 avec Jean-Paul Albinet et Philippe Cazal) et individuel trouve ici ce que l’on pourrait appeler un archivage détaillé, bien que non-exhaustif. La dimension conceptuelle de son travail en ressort plus que son impact sur le public. Les actions qu’il propose s’inscrivent la plupart du temps dans l’espace urbain et font appel à la participation des passants. Chaque projet est décrit, contextualisé sans pour autant faire l’objet d’une analyse poussée. Ce parti pris semble en contradiction avec l’idée de narration que le titre évoque. La pratique artistique d’Alain Snyers, délibérément tournée vers l’extérieur, à la faveur d’un art social, mériterait sans doute un développement plus approfondi dans ce qu’elle produit sociologiquement. L'ouvrage est ponctué de deux courts essais dans lesquels l’artiste se propose de définir les interventions urbaines comme une pratique artistique issue des années 1970. Le premier texte (p. 113) liste les différentes caractéristiques de cette pratique (" l’ici et maintenant ", " l’appropriation de nouveaux territoires ", " être dans le réel ", " l’adresse au public ", etc.), alors que le second (p. 135) relate l’apparition de cette pratique dans l’histoire de l’art. Il prend en compte le contexte socio-politique des années 1960-70, révélant un besoin de sortir la pratique artistique de son pré-carré traditionnel, afin d’inscrire l’art dans un quotidien politique encore marqué par la Guerre froide. Qualifiant les interventions urbaines de « forme dynamique et démocratique de l’art » (p. 136), il conclut son essai en affirmant qu’elles font aujourd’hui partie intégrante du champ des arts plastiques.
Le détournement de sens, le contre-pied, la falsification ou l’espièglerie sont régulièrement sollicités pour exprimer, par la parodie, un regard critique sur notre société.
https://www.youtube.com/watch?v=tkoLQpWgV5Q
Le M 2, Editions Transignum
Le sondage prend place dans le cadre d’une enquête-animation réalisée par le Collectif sur l’exposition même qui rassemble des œuvres de Hans Haacke, du Groupe de Rosario, du Guerrilla Art Action Group, de Michel Journiac, de Serge Oldenbourg, de Joan Rabascall, de Sosno et de Bernard Teyssèdre et Louis Chavinier. L’exposition, présentée comme une exposition d’« art sociologique/13 », rassemble des pratiques qui, par leur prise en compte du contexte social et politique et par leur mise en question de l’art, se constituent dans la provocation et la subversion. Le questionnaire proposé par le collectif, ainsi que celui conçu pour le catalogue, interrogent le caractère « décalé » des œuvres présentées par rapport à la définition traditionnelle de l’art, en même temps que les contextes qui les ont vus naître, cherchant par là à établir la filiation d’un engagement contemporain. Le discours d’autorité que représente la forme de l’enquête est détourné afin de révéler le discours autoritaire de l’art. L’enquête y apparaît comme une opération volontairement biaisée où la contradiction mise en scène invite au débordement critique. Le questionnaire contenu dans le catalogue de l’exposition s’achève ainsi sur cette question : « Le présent “questionnaire” n’est qu’un prétendu questionnaire, puisqu’une importante partie des réponses est orientée par la nature même des questions.
Question 12 : Estimez-vous malhonnête qu’un texte relatif à l’exposition “L’art contre l’idéologie” prenne lui-même parti contre l’idéologie dominante, et devienne ainsi partie de l’exposition ? Oui/Non/14. ».
Qu’elle soit exercée dans le cadre d’une enquête ou sous la forme d’une interpellation, comme dans le cadre de la signalétique : "Art, Qu’avez-vous à déclarer ?" mise en place par Hervé Fischer dans les rues de Saint-Germain et de Saint-Michel en 1974, la pratique interrogative demeure pour les membres du Collectif une invitation à la réflexion et à la critique. Elle est un outil didactique autoréflexif, un moteur d’échange et d’inclusion, qui permet au participant de rejoindre activement une réflexion qui ne peut être que collective : « Par sa pratique interrogative et critique, à l’opposé de l’art-marchandise et de la culture de consommation [l’art sociologique] questionne la conscience sociale/15. ».
Les pratiques du Collectif s’inscrivent de manière plus générale dans les questionnements de cybernéticiens tels que Gregory Bateson.
Développée dans le cadre des conférences de Macy, la cybernétique a d’abord désigné les mécanismes et les relations qui régissent les machines pour ensuite s’étendre, par analogie, aux relations sociales.
L’anthropologue Gregory Bateson appréhende ainsi le comportement d’un individu au travers des liens de cette personne aux autres individus, l’unité d’analyse devient donc l’interaction/16.
En favorisant la communication, en lieu et place de la diffusion/17, le Collectif d’art
/13 Critique – Théorie
– Art n° 1, catalogue de l’exposition « L’art contre l’idéologie »,
10 décembre 1974-4 janvier 1975, Paris,
Galerie Rencontres, n. p./14 ibid./15 Extrait du quatrième manifeste du Collectif :
Le Collectif d'art sociologique privilégie l’échange, réunissant l’observateur et l’observé dans un processus critique et pédagogique commun. L’usage qu’ils font des méthodes sociologiques s’effectue donc dans un rejet de la hiérarchie entre l’enquêteur-analyste et l’enquêté-sujet induite par ces méthodes.
Distance et réflexivité : stratégie du regard.
En multipliant les déplacements hors du champ de l’art, le Collectif pointe le caractère élitiste de ce dernier et cherche le décloisonnement. Aussi lorsque Fred Forest invite Mme Soleil au Musée Galliera en 1975, il ne s’agit pas de « chosifier » la voyante, mais de détourner les mécanismes de distanciation symbolique et historique du musée pour analyser un phénomène médiatique et sociologique : l’engouement pour l’astrologie autour du mythe de Mme Soleil. En déplaçant le cabinet de voyance au sein du musée, Fred Forest transforme celui-ci en espace de dialogues intimes rendus publics, cherchant à « offrir à notre réflexion un événement culturel “vivant” dans une enceinte institutionnalisée de la culture “morte”. Par l’introduction d’un élément étranger dans l’univers du
musée, l’artiste crée un événement qui vient catalyser les mécanismes de l’institution muséale : sans se limiter à en reproduire les effets, il permet cependant une mise à distance de ceux-ci. Fred Forest vient ainsi à opposer à la temporalité du musée, qui s’inscrit dans la durée et dans la conservation, le temps court d’un événement qui ne peut être vécu que dans le temps de l’échange et du dialogue. Finalement, de Mme Soleil au Musée Galliera, il ne reste que des articles de presse et des images vidéo, traces d’un simple passage au musée. La mise en abyme apparaît alors comme un moyen de distancier le phénomène sociologique à analyser.
Ce détournement ludique de la temporalité du musée, Fred Forest en réitère l’expérience dans le cadre de son exposition de la « Biennale de l’an 2000 » au Musée d’Art Contemporain de l’Université de São Paulo en 1975. Événement parallèle à la Biennale de São Paulo, la « Biennale de l’an 2000 » se présente comme une réexposition dans le futur de l’exposition de la biennale de 1975. En reproduisant le protocole de l’événement original, tel que l’inauguration, le cocktail et les discours, auquel il ajoute des photographies et des témoignages vidéo de l’exposition originale, Fred Forest ne cherche pas seulement à produire une parodie, mais à créer une distance historique fictive. Par le jeu du reenactement et par l’usage d’un protocole documentaire (photographique et vidéo), l’artiste propose la « création d’un événement critique socio-culturel utopique superposé à un événement socioculturel réel ». La distance temporelle fictive permet de mieux observer les mécanismes
de l’événement original.
J’expose Madame Soleil en chair et en os, dans le cadre de l’exposition « Collectif d’Art Sociologique »
au Musée Galliera à Paris du 17 juin au 1er septembre 1975.
/19 Texte tiré du document de présentation « Art sociologique Madame Soleil à Galliera, exposition-
présentation : Fred Forest », Fonds MAC
USP, 0060/003 v. 1.
/20 Fred Forest, Art sociologique, Paris,
UGE 10/18, 1977, p. 85.
63
Dans le cas de Mme Soleil, la distance naît de la création d’un événement dans le musée, alors que dans le cas de la « Biennale de l’an 2000 », la distance est générée par l’historicisation d’un événement artistique simultané, qui n’est pas sans anticiper les expositions d’expositions. Les membres du Collectif usent ainsi de diverses stratégies, comme l’animation et l’enquête, qui leur permettent dans un double mouvement, de générer des échanges avec le public et de mettre à distance de façon critique les situations à l’analyse desquelles ils invitent. En cela, l’usage de la vidéo, largement utilisée par Fred Forest/21, apparaît comme un outil de distanciation réflexif.
Servant à recueillir des témoignages lors des enquêtes, elle permet également une analyse a posteriori.
L’usage du circuit fermé, utilisé pour la première fois à la Galerie Germain en mai 1973 dans le cadre d’ " Archéologie du présent ou Autopsie de la rue Guénégaud ", puis dans un dispositif semblable
en décembre de la même année à la Galerie Portal à São Paulo pour " Autopsie de la rue Augusta/Petit musée de la consommation ", permet à l’artiste de jouer des effets d’immédiateté et de feedback. Dans ces deux situations, une caméra placée à l’extérieur filme la rue dans laquelle se trouve la galerie, pendant que des moniteurs situés à l’intérieur de l’espace d’exposition diffusent les images de la rue. La vidéo offre ainsi une mise à distance du réel qui permet au spectateur de s’extraire de la rue, tout en continuant de pouvoir observer les flux, les échanges et les relations sociales qui la traversent. Ce dédoublement du réel permet une analyse distancée, la vidéo ne sert pas ici à rapprocher le sujet de sa représentation, comme a pu le suggérer Rosalind Krauss/22 mais au contraire, lui offre l’expérience d’une distance entre ce qu’il est et ce qu’il peut ne pas être. À la galerie Portal, des objets collectés dans la rue sont présentés dans le redoublement distancié d’une mise en vitrine et d’une réification en artefact d’une époque « déjà autre ». Présenté de cette façon, le spectateur peut renouveler son regard sur ces objets qui font son quotidien. L’artiste l’invite ainsi à réfléchir sur leur provenance, l’usage et la place qu’ils occupent dans nos sociétés. Pour Abraham Moles, les objets, bien que manufacturés, sont la trace d’usages et de gestes et donc vecteurs de communication dans un environnement social donné/23 ; ils témoignent ainsi de la relation de l’individu au monde et des individus entre eux. En sortant ces objets de leur contexte, Fred Forest propose une archéologie de la vie quotidienne et offre un regard extérieur sur ce qui fait notre civilisation industrielle. À travers la vidéo et l’inventaire d’objets, le présent de la rue apparaît comme une autre réalité à l’intérieur de la galerie/24, ou du moins une réalité dont le spectateur est capable de s’extraire.
L’animation " Vidéo Troisième Âge " réalisée par Fred Forest en 1973 avec les habitants d’une maison de retraite en est un exemple. Pour plus d’informations sur cette expérience, voir le site http://mediasenpartage.com/en/#/fred-forest proposé par Ruth Erickson et Maud Jacquin sur l’Espace Virtuel du Jeu de Paume.
/22 Voir Rosalind Krauss, « Video : The Aesthetics of Narcissism », October, Vol. 1., printemps 1976, p. 50-64.
/23 Abraham Moles, « Objet et communication », Communications 13, « Les objets », 1969, p. 2.
/24 Dans le cas de l’expérience réalisée à la Galerie Germain à Paris, on peut lire sur le mur à l’intérieur de la galerie : « À cette époque-là, Paris était… ».
Une horloge filmée était également présente, comme pour mieux brouiller les repères temporels du spectateur.
Cette « archéologie du présent/25 » permise par la vidéo met en abyme le réel et permet un feedback presque immédiat sur le temps présent.
L’enquête-animation réalisée par le Collectif à Neuenkirchen en 1975 témoigne de cette invitation au dialogue que cultive le Collectif au travers de l’enquête et des entretiens. Conviés par l’Office franco-
allemand de la jeunesse et la Galerie Falazik, sur une proposition de Fred Forest les membres du Collectif réalisent des entretiens auprès des habitants de Neuenkirchen, une commune située entre
Hanovre et Hambourg et produisent une vidéo-gazette. Réalisée par les habitants et portant sur eux-mêmes, elle leur est montrée dans un café. La projection est l’occasion pour eux de se découvrir dans la distance créée par l’écran télévisé. Le visionnage des différents entretiens permet de nombreuses discussions entre les habitants, qui se confrontent, par le truchement de l’enquête sociologique,
aux perceptions de la vie quotidienne à Neuenkirchen des uns et des autres. Dans un premier temps, l’enquête révèle que de manière générale, les habitants sont heureux et considèrent leur ville comme
un havre de paix. En posant la question : " Neuenkirchen est-il un paradis ? " un certain nombre de problèmes apparait pourtant au cours des entretiens : celui du chômage, celui de la difficile insertion professionnelle des jeunes ou celui du souvenir traumatique de la guerre. Loin de chercher à dégager de grandes tendances, l’enquête du Collectif est en réalité le point de départ d’un dialogue entre les habitants, qui se poursuit pour l’essentiel hors du champ de la caméra, dans ce café. Peut-être la réussite de l’enquête réside-t-elle d’ailleurs dans l’activité d’écoute et de dialogue qu’elle aura déclenchée entre les habitants et non dans les réponses rassemblées. Subvertissant le processus de production habituel, où le programme télévisuel est produit par un groupe restreint pour être diffusé ensuite à l’ensemble de la population/26, le collectif offre la possibilité aux habitants de produire leur propre programme. Les habitants sont alors les émetteurs et les récepteurs du programme.
La vidéo est ici un outil de rencontre et de communication qui permet de révéler une communauté à elle-même. Elle devient dialogique et non discursive.
Pédagogie de l’expérience
Caractérisées par l’expérience et son partage, les pratiques de l’art sociologique invitent au questionnement. Chaque œuvre est en réalité une expérience, dont l’efficacité ne se mesure pas à sa réussite.
En ce sens, il ne peut y avoir d’échecs, mais de simples constats. Les /25 En référence à " Archéologie du présent ou Autopsie de la rue Guénégaud " (1973) de Fred Forest./26 Abraham Moles, « La radio-télévision au service de la promotion socio-culturelle », Communications 7,
« Radio-télévision :réflexions et recherches »,1966, p. 6.
LONG BIOGRAPHY OF FRED FOREST
Fred Forest has a special place in contemporary art. Both by his personality and by his pioneering practices which mark his work. He is mainly known today for having used one by one most of the communication media that have appeared over the last fifty years. He is co-founder of three artistic movements: those of sociological art, the aesthetics of communication and ethics in art.
He represented France at the 12th São Paulo Biennale (Communication Prize) in 1973, at the 37th Venice Biennale in 1976 and at Documenta 6 in Kassel in 1977.
EXHIBITION AT THE CENTRE POMPIDOU FROM JANUARY 24 TO OCTOBER 14, 2024