Archéologie du présent
Cette installation a eu plusieurs titres à savoir « Autopsie de la rue Guénégaud et Archéologie du présent ». C'est un projet, entre autres, sur le temps. La partie essentielle se compose d'une caméra fixe qui prend en circuit fermé la rue dans sa longueur et projette cette image à l'intérieur sur un grand écran mural.
1973 Archéologie du présent ou autopsie de la rue Guénégaud
Tout d'abord je remercie vivement Christiane et Eric Germain d'avoir mis à ma disposition leur galerie pour présenter la première installation vidéo réalisée en 1973 à Paris, ce qui montre de leur part une extrême acuité aux recherches en art contemporain qu'ils étaient à l'époque les seuls à pouvoir saisir. Cette installation a eu plusieurs titres à savoir « Autopsie de la rue Guénégaud et Archéologie du présent ». C'est un projet, entre autres, sur le temps. La partie essentielle se compose d'une caméra fixe qui prend en circuit fermé la rue dans sa longueur et projette cette image à l'intérieur sur un grand écran mural. Mais chose très importante : cette image présente à la base cette mention : " LA RUE GENEGAUD A CETTE EPOQUE ETAIT ..." Alors que l'image vient à ce moment même de la rue. Le présent étant présenté au visiteur comme s'il s'agissait d'une image d'archive.
Quand les visiteurs arrivent, ils sont dans un présent contingent et dès qu’ils font le premier pas dans la galerie, ils se trouvent placés dans leur passé bien que l’image qui leur est renvoyée est celle du présent. Ce qui les conduit, par cet artifice imaginé par l’artiste à se percevoir dans leur propre passé par un jeu de langage.
Par ailleurs différentes horloges placées dans les lieux corroborent l’heure du présent réel. Enfin, un horodateur permet au visiteur de pointer l’heure exacte de son passage sur son invitation et de l’emporter avec lui. Une invitation qui mentionne les noms de Vilém Flusser et de Pierre Restany, mes deux complices habituels qui vont, eux, opérer une investigation de la rue Guénégaud avec leur corps muni d’un magnétophone chacun sur un des deux trottoirs, décrivant tout ce qu’ils voient, d’un bout à l’autre de la rue, restituant une sorte de constat sociologique urbain. Un magnétophone pour opérer une investigation de la rue est mis à la disposition auprès du public afin d’assurer la notion participative chère à l’artiste.
Au milieu de la galerie on peut apercevoir une grande caisse où sont entassés des objets divers qui sont des prélèvements faits tous les jours dans les poubelles de la rue Guénégaud. Ces objets permettant également une investigation sociologique de la rue. En effet, ils y ont pénétré chacun à leur tour, un jour, avec chacun des habitants. Ils ont effectué une ronde dans les différents étages pour se retrouver dans les poubelles et quitter la rue Guénégaud après une ronde de la communication. Fred Forest les fixant ici le temps de l’exposition dans leur périple communicationnel.
Archéologie du présent
VIDÉO-INSTALLATION ET ANIMATION
Investigation électronique de la rue Guénégaud Paris.
GALERIE GERMAIN PARIS
MAI 1973
Commentateurs/Reporters/Archéologues du présent : Vilém Flusser,
Pierre Restany, René Berger et différentes personnes anonymes.
Concept, finalité
- 1- Le projet initial prévoit une découverte de la rue sur toute sa longueur (190 m) en la plaçant continûment sous l’œil de caméras vidéo en circuit fermé. Ces différentes caméras, installées par sections perpendiculaires à la rue, couvrent la totalité de sa longueur. Chacune des caméras renvoyant sur un moniteur, dans la galerie, une section, elle-même mise bout à bout avec les autres récepteurs. L’ensemble des récepteurs disposés dans la galerie étant destiné à " reconfigurer " en quelque sorte, en parallèle, l’espace de la rue selon certaines heures de la journée. Organisation/désorganisation dans la chronologie du déplacement linéaire et continu des passants et des automobiles dans une rue à sens unique se présentant un peu comme un " boyau " organique de circulation. Établissement d’un système de relation en temps réel juxtaposant la réalité physique de la rue à sa représentation cathodique " reconstruite " dans la galerie.
- Le deuxième projet initial envisage de relier la galerie Germain, rue Guénégaud, à la galerie Stadler, rue de Seine, deux pâtés de maisons plus loin, dans le même quartier, afin de constituer un " espace unique " et une communication visuelle de deux publics simultanés, à distance, à travers l’interface d’un écran géant.
Les deux projets doivent être rapidement abandonnés, le service de voirie de la Ville de Paris ayant refusé la délivrance des autorisations nécessaires pour déployer des câbles à travers l’espace urbain.
Dispositif
1 télémégascope Dassault, 3 caméras TV Grandin, 10 moniteurs 18 pouces, 2 démodulateurs Syder, 1 magnétoscope Sony CV 2100 ACE, 1 magnétoscope Sony AVC 3200 CE, 1 pointeuse Dehocadet, 1 horloge numérique dator 6 RS 220 volts, 1 projecteur Kodak SAV 250 w, des objets divers dans les poubelles de la rue Guénégaud entre le 15 et le 30 avril 1973, entre 5 heures et 7 heures du matin.
Déroulement
Une caméra extérieure couvre en permanence la rue dans le sens de la longueur vers les quais de la Seine, face au flot des voitures. L’image captée est renvoyée dans la galerie, projetée directement sur le mur blanc de droite en noir et blanc (la couleur n’existe pas encore…). L’image livre en temps réel un continuum d’informations de caractère fondamentalement imprévisible. Et c’est cette " imprévisibilité " même qui en constitue un facteur de fascination et émotionnel très puissant. Au-delà de ce " donné à voir ", ininterrompu dans sa contingence brute, le dispositif invite à une réflexion sur notre rapport au temps. En effet, l’artiste a peint en lettres rouges sous l’image projetée sur le mur cette mention : " À cette époque-là la rue Guénégaud était… ". Le direct de l’image en temps réel est donné à voir ici comme s’il s’agissait d’une image en différé… Le spectateur se voit donc placé par la proposition de l’artiste dans une situation distancée où son " présent " est vécu et appréhendé dans la perspective historique d’un passé révolu. Le passage successif du visiteur de la rue, où il est " objet " sur l’écran, puis dans la galerie où il acquiert le statut de " sujet ", et son retour enfin à la rue comme " objet ", provoque différents états temporels, juxtaposés et successifs qui modifient sa situation et jouent sur sa pensée. Le dehors est mis dedans et inversement car une caméra à l’intérieur de la galerie met cette image en vitrine, tournée vers l’extérieur. Selon les points de vue, la perception de l’espace et du temps s’en trouve modifiée. Le temps, par ce jeu de miroir où l’artiste intervient se voit reconfiguré et perturbé de manière inexorable. Le médium électronique mis en œuvre ici sous cette forme par Forest fonctionne comme un instrument de questionnement de notre vécu et de l’espace-temps. L’horloge, l’horodateur, comme les objets récupérés le matin même dans les poubelles de la rue sont donnés comme des repères et des traces visuels d’une archéologie qu’on peut qualifier d’autopsie électronique du présent.
- " La télévision en partage " dossier N° 3, IDERIV-Institut d’Étude et de Recherche en Information Visuelle, sous la direction de Jacques Monnier-Raball, École des Beaux-Arts de Lausanne, 1973, avec des textes de Pierre Restany, René Berger, Edgar Morin, Vilém Flüsser, Fred Forest
- " La rue Fred Forest ", François Pluchart, Combat, 21 mai 1973, Paris
- " L’objet télévision ", Maurice Achard, Combat, 8 mai 1973, Paris
- " Rue Guénégaud ", Gilles Février, Saltimbanque, 23 mai 1973
- " Dis-moi ce que tu jettes… ", Philippe Bouvard, France-Soir, 7 mai 1993
- " La rue Guénégaud de Fred Forest ", Marie-Claude Volfin, Les Nouvelles Littéraires, 14 mai 1973, Paris
- " Forum des Arts ", Télévision Nationale 2e chaîne, André Parinaud, diffusion 13 mai 1973
- http://archive.olats.org/projetpart/artmedia/2002/t_fForest.html
Biographie longue de Fred Forest
Fred Forest a une place à part dans l’art contemporain. Tant par sa personnalité que par ses pratiques de pionnier qui jalonnent son œuvre. Il est principalement connu aujourd’hui pour avoir pratiqué un à un la plupart des médias de communication qui sont apparus depuis une cinquantaine d’années. Il est co-fondateur de trois mouvements artistiques : ceux de l’art sociologique, de l’esthétique de la communication et d’une éthique dans l’art.
Il a représenté la France à la XIIème Biennale de São Paulo - Prix de la communication - en 1973, à la 37ème Biennale de Venise en 1976, à la Documenta 6 de Kassel en 1977 et a été exposé au CENTRE POMPIDOU en 2017 et 2024.