Art et Internet
Un livre de Fred Forest et son travail sur les metavers.
Nous changeons de culture !
La cyberculture représente déjà dans les réseaux planétaires des millions d'opérateurs actifs.
2009 Un livre de Fred Forest et son travail sur les metavers
ART ET INTERNET DE FRED FOREST
Publié par le Cercle d’art
Nous changeons de culture !
La cyberculture représente déjà dans les réseaux planétaires des millions d'opérateurs actifs.
Le Net.Art a pris acte que les objets artistiques de formes traditionnelles (peinture, dessin, sculpture) ne sont plus en mesure d'exprimer, à eux seuls, les nouvelles réalités immatérielles, formes des processus, réseaux, systèmes, flux de données, les principes de fluidité et de complexité qui sont désormais ceux de nos rapports au monde.
Caractérisé justement par sa versatilité, sa mobilité, son instabilité, sa perpétuelle métamorphose, par le fait qu'il s'appréhende et se revendique en tant que processus à caractère éphémère, non-fini, interactif, souvent, et en devenir, le Net-Art a bouleversé nos perceptions esthétiques. Tout cela s'impose aujourd'hui avec tant d'évidence et de naturel, que bientôt, peut-être, la qualification de Net-Art pourrait s'avérer un pléonasme.
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Texte publié en ligne dans le magazine électronique DI CIAC n°31/2008
CENTRE ÉLECTRONIQUE D’ART CONTEMPORAIN DE MONTRÉAL (CANADA)
FRED FOREST DANS SECOND LIFE
par Fred Forest
Je dois dire, en préambule, que le travail que j'ai développé depuis les années 70 repose sur des expérimentations successives.
Je pense que cela correspond, indéniablement, à une question de tempérament personnel, mais, surtout, à la nécessité d'adapter son langage et ses contenus, en adéquation étroite à ce que l'on désire communiquer, à l'instant T, où ce message et ces contenus sont en situation :
- D'être élaborés
- D'être diffusés
Je suis passé, ainsi, du graphisme à la peinture, de la peinture au tableau-écran, du tableau-écran à la vidéo, de la vidéo au slow-scan, à l'animation dans un espace physique donné, puis à l'animation d'informations sur la page d'un journal, au téléphone, à la radio, à la télévision, au câble et, inévitablement, un jour, au numérique et à Internet. Ces passages ne se sont pas opérés chronologiquement, les uns après les autres, mais dans des régimes de coexistence et d'alternance, dans lesquels la notion de multimédia, et d'installation, a pris, dans des transferts et des hybridations successives, des formes spécifiques, allant toujours vers une plus grande complexité du langage.
C'est un truisme de dire que faire de l'art, ou prétendre en faire, c'est d'abord inventer un langage. Ce type de création peut s'opérer avec toutes sortes de matériaux physiques ou virtuels, tangibles ou sémantiques, avec les combinaisons à l'infini que permettent ces moyens et les supports sur lesquels ils vont prendre forme. Ce que l'artiste sait, par contre, c'est que la nature même du contenu (son message et sa perception) sont également conditionnés par le matériau. Le scribe accroupi du Musée du Louvre, fait de calcaire, de cristal de roche, de cuivre, de magnésie, n'est pas le même que s'il avait été réalisé en terre cuite, en bois, en marbre de Carrare, en nickel, en plastique, ou encore en 3D ou sous forme d'holographie. Il n'est pas le même, ni pour notre perception, ni pour le message que cette statuette nous transmet.
En ce qui concerne la diffusion, un tableau de Monet n'est pas le même, non plus, sous nos yeux au Musée d'Orsay, que sur une reproduction en couleurs d'un livre d'art, ou sur le calendrier des Postes. Une pièce de théâtre filmée à la Comédie Française devient autre chose, quand elle est diffusée à la télévision... Ces mêmes banalités que j'énonce, ici, d'une façon primesautière, deviendront autre chose dans ma bouche, si je les dis à Stockholm, au cours de mon discours, s'il m'arrive, un jour, par accident, de recevoir le Prix Nobel. J'attends donc ce moment pour savoir, si ce que je vous dis en cet instant sera bien vérifié. Ou si, au contraire, cela restera une vérité relative. En fait, je vous exprime cela, pour vous dire, plus communément, qu'un artiste, qu'il le veuille ou non, travaille consciemment et intuitivement, en fonction d'un contexte donné, auquel il est étroitement lié. Il organise (réorganise des informations) avec plus ou moins de bonheur et de créativité, mais il ne les crée, dans leur originalité intrinsèque, que très exceptionnellement. Le corpus de ses infos constituant son matériel de base, lui est donné, de fait, par le niveau des connaissances de son époque, la nature des matériaux utilisables, et les idéologies dominantes du moment. Un artiste ne peut être, en conséquence, au choix, qu'un expérimentateur ou un bon artisan. Un bon artisan, qui appliquera avec plus au moins de pertinence et de bonheur ce que le premier aura contribué à découvrir à ses risques et périls. N'avez-vous pas remarqué, dans l'art contemporain officiel du marché, comment, finalement, tout a un petit air de famille ? et de déjà-vu ? C'est tout simplement, en général, que les artistes, précisément, se conforment avec pragmatisme aux valeurs des codes et des modèles en cours.
Donc, ce que je commençais à expliquer au début de ce texte, pour tenter d'expliciter ma propre démarche, c'est que nous sommes tous condamnés à expérimenter. Expérimenter, condition sine qua non, si nous voulons trouver, en qualité d'artiste (et d'homme en général), un point oméga, qui soit en adéquation de sens, en temps réel, avec notre milieu. Quand on expérimente, on ne sait jamais, à l'avance, ce qu'on va trop trouver, c'est toujours, là, que se situe le moteur de la création. Ce qui est passionnant et excitant, à la fois, et encore plus, c'est quand on partage ce doute dynamique, en action, avec quelques autres. C'est ce moment imprévisible où l'on pressent que quelque chose va arriver et que la chose arrive. Ma démarche artistique, depuis près de quarante ans, s'est fondée sur deux ou trois idées élémentaires, qui se sont répétées et déclinées de façon récurrente. Un artiste, finalement, n'a pas tellement d'idées dans une vie. Les miennes, au-delà de l'intention purement symbolique, c'étaient la dimension sociale et sociologique, l'interaction avec le public, l'implication politico-critique, l'appréciation du temps réel, pour lequel j'ai toujours éprouvé une fascination irrépressible, et la quasi-abolition de l'espace, que met en œuvre, aujourd'hui, au quotidien, l'usage des technologies de communication.
En 1995, une de mes premières actions sur Internet à Locarno, dans le cadre du Festival des arts électroniques qu'organisait Rinaldo Bianda, De Casablanca à Locarno, avait utilisé simultanément un dispositif multimédia qui mettait en œuvre, en les hybridant : le théâtre, le cinéma, le téléphone, la radio, la télévision hertzienne et Internet 1.
En 2006, le hasard et ma curiosité naturelle, m'ont mis en phase d'expérimenter Second Life. Dès les premiers mouvements de la souris, qui déplaçaient mon avatar, je me suis rendu compte des potentialités extraordinaires qu'un tel support pouvait désormais offrir aux artistes pour créer un monde à la mesure de leur imagination et de leur fantaisie. Ce qui m'a frappé, immédiatement, c'était mon extrême maladresse pour me déplacer dans un monde en trois dimensions. C'était pour moi une nouvelle expérimentation. L'expérimentation d'un espace où les repères visuels en mouvement nécessitaient une approche différente, pour pouvoir me mouvoir dans un environnement artificiel et spécifique. Les artistes, aujourd'hui, ont pour but de nous proposer des situations d'apprentissage de nouveaux types d'environnements artificiels dans lesquels nous sommes appelés à vivre. La mise en question de nos perceptions nous conduit à réviser nos schémas de comportements traditionnels et nous force à devoir innover. Notre cerveau droit se trouve en situation de devoir composer avec notre cerveau gauche. En tout cas, c'était la première fois de ma vie que je volais à travers les airs, comme le font les oiseaux tous les jours, et que je ressentais cette espèce de vertige et d'euphorie délicieuse. Je n'avais aucune raison de m'encombrer de théories psychanalytiques, en les plaquant sur ce que je ressentais, où le fait de voler dans ses rêves aurait des interprétations essentiellement d'ordre sexuel… Invité à passer d'une île à l'autre, me disposant à contempler des mondes originaux, merveilleux et inédits, je dois avouer ma déception. Tout ce que je croisais sur mes pas ressemblait plutôt à des efforts besogneux et bien inutiles de répéter, au plus près, le monde tel qu'il est, avec ses galeries marchandes, ses night-clubs et ses châteaux forts en papier mâché. Une profonde impression d'ennui régnait sur ce monde aseptisé, le plus souvent, pratiquement vide de toute présence. Une sorte de Disneyland morose, inspirant un ennui profond. Loin de me déprimer, cet état des choses, au contraire, m'inspira le désir de m'approprier cette technique, qui me semblait recéler des possibilités de création fantastiques.
La rencontre avec l'autre, toujours imprévisible, ou à mettre en œuvre de façon programmatique dans des dispositifs idoines, me semblait riche de développements collectifs inédits. Pour moi, Second Life pouvait (devait) être un laboratoire d'expérimentation sociale comme le modèle que j'avais mis en place en 1977 avec le Territoire du Mètre carré artistique 2.
Une plate-forme expérimentale, conçue comme une aire de jeu, de simulation et de propositions, pour suggérer des idées ou des solutions, élaborées collectivement, pour faire face aux problèmes de société. Certes, monter de toutes pièces, un monde parallèle, mais un monde qui à un moment donné constituerait, de fait, une liaison organique avec la réalité. Permettant, avec un peu de chance, de patience et de détermination, d'agir sur elle, pour tenter d'en infléchir le fonctionnement et le sens. Les artistes n'ont pas tardé à s'approprier ce nouveau moyen de création. Le groupe de performers Second Front dans un esprit proche de celui de Fluxus s'est employé à multiplier des actions décalées, voire délibérément transgressives et surtout absurdes.
Mais de telles intrusions restent hélas marginales. L'on aurait tort de s'imaginer que soudain le support d'invention, de création et d'innovation que constitue Second Life puisse devenir, comme par magie, une condition technique spécifique de l'émergence d'une généralisation de la créativité. La multiplication jusqu'à saturation aujourd'hui des pratiques photographiques n'a guère mis en place qu'une autre génération de producteurs de masse de portraits de famille ou de clichés de vacances. L'on aurait tort cependant de sous-estimer, dans les rapports entre les individus, les avantages manifestes de la « matérialisation » de la 3D, comme interface de communication à distance, de préférence au service classique du chat en ligne. Si l'on observe dans Second Life des comportements et des résultats qui ne militent pas forcément pour l'innovation dans l'approche architecturale et l'invention urbaine débridée, il ne faut pas être systématiquement négatif. Mais c'est vrai qu'il semble que les modèles qui dominent relèvent plus de rêves étriqués de petits retraités pour leur maison de campagne, que d'une fièvre mégalomaniaque irrésistible. On y retrouve, trop souvent, le besoin de délimiter jalousement le pré carré de la propriété privée. À quoi servent donc sur Second Life des modèles architecturaux classiques dans un monde en 3D, où l'on vole au-dessus de routes sans circulation, et des maisons avec des toits faits de matériaux conventionnels dans un monde sans ouragan, Katrina et Gustav, et où il ne pleut jamais de l'eau du ciel ?
La place me manque ici pour traiter des aspects économiques, néanmoins forts intéressants, qui peuvent se développer pour les usagers à l'intérieur de Second Life et, surtout, aussi des rapports avec la société Linden Lab, dans ses orientations idéologico-politico-économiques. Il est patent que l'artiste, dans ce nouvel environnement, à la fois technique, esthétique, économique et idéologique, a des choix à opérer, des stratégies à mettre en œuvre, pour développer sa pratique, et la rendre à la fois cohérente, lisible et signifiante.
Pour revenir à mes propres interventions sur ce médium, elles se sont imposées, d'elles-mêmes, non comme une rupture, mais comme une continuité. Est toujours présente, la position sociocritique de l'art sociologique, avec une dominante très marquée, où la préoccupation éthique l'emporte sur l'intention esthétique. Est également présente, dans le Centre expérimental du Territoire et laboratoire social, la volonté de mettre en place un système d'échanges interactifs. Un système qui puisse fonctionner, à distance, comme une plate-forme de réflexion et de propositions. En l'adaptant à la situation spécifique de Second Life, ce système reprend à la lettre dans ses représentations le projet du Mètre carré artistique, créé en 1977, avec le retentissement médiatique que l'on connaît, bien au-delà de la sphère du micro-milieu de l'art, touchant d'une façon critique, au politique, au social, au sociologique et à l'économique. Il est intéressant de noter comment, tout au long d'années successives, un même concept peut évoluer, à la fois, à travers les différents supports techniques utilisés, mais, aussi, en fonction d'un contexte sociétal qui évolue lui-même.
Ma pratique sur Second Life a eu l'avantage de pouvoir mettre en scène les véritables acteurs de la vie politique aux élections de mars 2008. J'ai choisi la ville de Nice, d'une part pour mes liens personnels avec cette ville, où j'ai vécu une dizaine d'années, impliqué comme artiste et comme universitaire, avec une activité critique publique soutenue. Mon rapport de force avec le maire de la ville s'est tendu, au point qu'il a interdit en 2006 une de mes expositions, jugée trop ironique à son égard (Chemin de Croix avec cahier de doléances interactif sur Internet). Résultat : cette interdiction a soulevé un tollé général en France, dénonçant les pratiques autocratiques du personnage. En mars 2006, j'ai invité les différents candidats aux élections municipales de Nice à venir exposer leurs programmes respectifs sur le développement durable 3, puis, le laboratoire du Centre expérimental du Territoire 4 s'est saisi du problème aigu des ordures de Naples 5. La solution consistait à opérer leur transfert sur la Promenade des Anglais, pour les éliminer à l'aide d'un désintégrateur mystique d'ordures de haute technologie, suite à un accord bilatéral avec les autorités du Vatican et Silvio Berlusconi... Enfin, au mois de Mai 2008, pour la journée mondiale de l'ICOM, je proposais à la demande de cette institution une proposition de musée révolutionnaire « flottant » sur Second Life.
Il me semble que si Second Life, ou un système 3D analogue, arrivent à maîtriser certaines insuffisances techniques actuelles, notamment pour la transmission du son, la vie dans le virtuel prendra une place inédite dans l'histoire de l'humanité, tant pour le politique, le social, l'enseignement que pour l'économique. De nouvelles formes de gouvernance pourront alors s'inventer dans lesquelles la Carte Capucine jouera un rôle déterminant pour tous les citoyens du monde. Pour les artistes, il s'agira essentiellement de s'appliquer à établir des passerelles et des miroirs critiques entre deux univers autonomes, qui deviendront alors, un jour, un monde unique, à partir du moment où le principe des vases communicants et celui de la pierre philosophale seront non seulement résolus techniquement, mais applicables, dans la reconnaissance entière d'autrui.
Biographie longue de Fred Forest
Fred Forest a une place à part dans l’art contemporain. Tant par sa personnalité que par ses pratiques de pionnier qui jalonnent son œuvre. Il est principalement connu aujourd’hui pour avoir pratiqué un à un la plupart des médias de communication qui sont apparus depuis une cinquantaine d’années. Il est co-fondateur de trois mouvements artistiques : ceux de l’art sociologique, de l’esthétique de la communication et d’une éthique dans l’art.
Il a représenté la France à la XIIème Biennale de São Paulo (Prix de la communication) en 1973, à la 37ème Biennale de Venise en 1976 et à la Documenta 6 de Kassel en 1977.
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