Intelligence artificielle
Le concept, comme l'action du Centre Expérimental du Territoire et Laboratoire Social, relève d'un processus évolutif. Par conséquent il présente dans le temps des versions différentes, toutes aussi originales, les unes que les autres !
A lire aussi dans cette page :
- Texte de Fred Forest publié dans la revue de l’ICOM
- ChatGPT bouleverse la finance de marché
- 2006 La Biennale on line 3000 de Fred Forest en concurrence directe avec la Biennale officielle de São Paulo
2009 Avenir de l'Humanité, Intelligence collective et Ego Cybertstar
ANNEE DE LA FRANCE AU BRESIL, MAC-MUSEE D'ART CONTEMPORAIN SAO PAULO,
Galeria do Instituto de Artes da UNESP, Universidade Estadual Paulista Julio de Mesquita Filho, Campus de São Paulo, a Escola de Comunicação e Artes da Universidade de São Paulo ECA-USP, Universidade Federal do Rio Grande do Sul, Porto Alegre, Universidade de Brasília,
Mai/Novembre 2009 dans le cadre de l'Année de la France au Brésil
Le concept, comme l'action du Centre Expérimental du Territoire et Laboratoire Social, relève d'un processus évolutif. Par conséquent il présente dans le temps des versions différentes, toutes aussi originales, les unes que les autres ! Les procédures et les contenus de son fonctionnement sont chaque fois différents, bien entendu, selon ses localisations géographiques, la culture, le contexte des expériences proposées (Paris, Nice, Naples ou Sao... Paulo) Cependant, des problématiques transversales sont communes à toutes ses implantations locale ou nationales, car elles touchent toutes aux grandes questions soulevées à l'Humanité par une crise à l'échelle mondiale.(Réchauffement de la planète, crise économique, faim dans le monde, sida, surpeuplements, terrorisme, développement non maitrisé des technologies etc...)
Le Centre Experimental du Territoire et Laboratoire Social propose à l'art, au-delà de la dimension esthétique une fonction de réflexion collective et une praxis, qui fait appel à l'échange, la participation et à l'intelligence collective. Un personnage emblématique, qui se nomme lui-même, EGO CYVERSTAR, vit la mutation douloureuse d'un monde à un autre, ou chacun se trouve confronté aujourd'hui à ce défi. Ce projet, chaque fois inédit, constitue donc un modèle de simulation pour rechercher ensemble, dans le partage, des solutions. Dans ce projet, la préoccupation éthique prend le pas dans l'art sur la visée esthétique et celle du divertissement.
Le Centre Expérimental du Territoire préfigure ce que pourrait être peut-être demain un gouvernement mondial empreint de sagesse et de dialogue altruiste. Il s'inscrit dans la droite ligne de ce qu'Umberto Eco nomme l'utopie réaliste, qui a toujours été le propos de l'art sociologique
http://slurl.com/secondlife/Conway%203/71/40/27
Pour accéder à cette adresse, vous devez déjà être dans Second Life, et vous être confectionné un avatar
- Commissaire, assistante de réalisation sur place, traductions : VIVIAN PUXIAN
- Soutien technique et logistique : CAPUCINE.NET
Pour la Biennale 3000 : GUSTAVE BERNIER et RENE PEROL
ARTISTES PARTICIPEZ A LA BIENNALE 3000 ! Une biennale sans sélection sans commissaire, sans censure idéologique ou économique !
http://www.biennale3000saopaulo.org
Relancée à partir de Galeria do Instituto de Artes da UNESP, Universidade Estadual Paulista Julio de Mesquita Filho, Campus de São Paulo
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Texte de Fred Forest publié dans la revue de l’ICOM
ESTHETIQUE [1] DU NUMERIQUE : RUPTURE OU CONTINUITE ?
Par Fred Forest, artiste multimédia, Docteur d'Etat de la Sorbonne, professeur émérite de l'université de Nice Sophia-Antipolis.
En m’invitant à participer à sa journée internationale du 18 mai 2008, l’ICOM sans doute s’adressait-elle au pionnier de l’art vidéo (1965) et à celui de l’art sur Internet (1994) mais également, très certainement, à l’expérimentateur auquel j’ai toujours été identifié comme artiste. Non seulement le choix de Second Life comme thème de cette journée correspondait avec pertinence à mes dernières créations, mais correspondait, aussi, à l’affirmation d’un espace muséal affirmé comme « agent de changement social et du développement » Il se trouve en effet que je suis dès 1974 à l’origine du mouvement de l’art sociologique, et que c’est à ce titre que Pierre Restany, commissaire du pavillon Français, m’a invité à participer à le Biennale de Venise 76. Concepteur et fondateur du musée en ligne le http://www.webnetmuseum.org en 2001, je collabore actuellement avec Philippe Vacheyrout à la mise en œuvre d’un concept expérimental et révolutionnaire de musée sur Second Life.
Histoire et préhistoire de l'art numérique
L'histoire de l'humanité, à laquelle celle de l'Histoire de l'art est intimement liée, est marquée par des étapes successives, où la création est passée par différentes phases : celle de l'utilisation de la matière, puis de l'énergie et aujourd'hui de l'information et du numérique. Cette trajectoire s'inscrit dans un processus qui va du matériel à l'immatériel, aux immatériaux, comme l'a qualifié le philosophe Français Jean-François Lyotard. Nous pouvons admettre et reconnaître qu'il y a des formes d'art qui ont préparé l'émergence de cet art dit du numérique, des réseaux, du Net-Art et par conséquent de Second Life. Je pense que des notions, comme celles de happening, de flux, de communication instantanée, de combinatoire, d'interactivité, de réseau, de relation, de présence à distance, d'action à distance, d'ubiquité, de collaboration et d'intelligence collective, qui sont les éléments fondateurs de l'art numérique et des pratiques sur Second Life, avaient déjà eu une "existence" historique, avant même que n'apparaissent, et ne se généralisent, les usages de l'ordinateur et ceux de la télématique.
Quelques considérations sur cette nouvelle forme d'art que constitue l'art sur Second Life
- L’œuvre sur Second Life ne " figure " pas le monde, elle le " reconfigure" et le " simule ".
- Elle instaure un nouveau mode de rapport du spectateur à l’œuvre qui n’est plus celui de la contemplation mais de l'interaction ou participation.
- Elle défie pour l'instant les logiques patrimoniales et de marché.
Il faut constater aujourd'hui que l'arrivée du numérique modifie le rapport des créateurs au réel, à la matérialisation de l’imaginaire, à la représentation. Elle rend caduque la notion d’œuvre close, d'œuvre finie. Elle crée de nouveaux lieux de diffusion et d’expression, de circulation des œuvres. La différence s’établit dans la matérialité de l’œuvre, sa genèse, sa structure, son mode d’appréhension, ses possibilités de diffusion instantanée par les réseaux à l’échelle planétaire!
Cette rupture épistémologique est surtout signifiante par le caractère cumulatif des changements qu’elle met en jeu. Les mots qui reviennent le plus souvent sous la plume des créateurs dans ces domaines sont ceux de relation, de convergence et d’hybridation. L’art numérique ne fait nullement table rase du passé : il le récupère plutôt. Il le recycle.
Rapport entre technologies et imaginaire
Si l’œuvre d’art se caractérise, au moins dans l’imaginaire du grand public, par son unicité et sa stabilité, le numérique constitue bien une rupture, non parce qu’il abolit ces deux critères mais parce qu’il les déplace. En effet, le concept d’unicité demeure fondateur ; cependant, il ne se situe pas dans l’exécution de l’œuvre mais en amont, dans sa conception. Il s’incarne dans le modèle, qu’on peut appeler indifféremment matrice ou programme
Pour l’ensemble des théoriciens de l’art numérique, c’est une esthétique où la notion de relation prime sur la notion d’objet. Cette esthétique a pour fondement, non la production de formes, mais d’architectures formelles et informationnelles, comme l'ont théorisé dès 1983 les acteurs de l'Esthétique de la communication [2]
À l'évidence, l’œuvre n’est plus l’image mais le processus qui la produit.
Archivage, conservation, mémoire, et art numérique
Hier l'artiste laissait sa trace dans un espace physique (les murs des cavernes, le marbre de Carrare, la toile de lin) en se confrontant à la matière. Aujourd'hui, s'il imprime son inscription identitaire dans l'univers des réseaux, son œuvre est partout à la fois. Le virtuel pose problème à l'art parce que l'art, jusqu'à nos jours, s'est toujours posé et imposé comme une dimension relevant de l'éternel. Or, contradiction irréductible, les arts impalpables du virtuel appartiennent de fait au monde du fugitif et de l'éphémère. Une œuvre qui se veut expérience plus qu’objet, flux plus que stock. Comment, dans de telles conditions organiser la rareté, créer de la valeur marchande ? Les musées sont confrontés de front à cette situation, et le thème choisi de Second Life comme problématique de leur journée internationale 2008, atteste bien d’une prise de conscience et d’un réel besoin de réflexion dans ce domaine. Nous pouvons que nous en réjouir.
[1] Voir http://www.webnetmuseum.org
[2] Théorie et mouvement artistique international sous la conduite de Mario Costa et de Fred Forest, San Severino Mercato 1983 (Voir Manifeste de l'Art Sociologique, Fred Forest, Revue + - 0, Bruxelles 1985).
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ChatGPT bouleverse la finance de marché
CHRONIQUE. ChatGPT est la nouvelle pépite de l'IA qui bouleverse notre rapport au récit. Or, le récit est la principale raison d'agir de la finance de marché. Par Karl Eychenne, chercheur chez Oblomov et Bartleby.
Karl Eychenne
11 Jan 2023, 7:07
(Crédits : DR)
Robert Shiller est l'un des rares personnages hauts en couleur de la finance (prix Nobel en 2013) à avoir prévu les 2 crises financières de ces 25 dernières années : la bulle des valeurs technologiques de 2000 et la crise des subprimes en 2008. Plus récemment, Il est aussi celui qui a popularisé le concept de « narratives ». Il s'agit d'histoires auxquelles l'homo economicus finit par croire et adhérer au point de surréagir déraisonnablement, dans les bulles comme dans les crises.
« Pour comprendre pourquoi une récession a même commencé, nous avons besoin de plus qu'une théorie de la rétroaction. Nous devons considérer la possibilité que parfois la principale raison pour laquelle une récession est grave est liée à la prévalence et à la vivacité de certaines histoires, et non à la rétroaction ou aux multiplicateurs purement économiques que les économistes aiment modéliser », Robert Shiller, NBER, 2017.
Or, avec l'arrivée du robot conversationnel ChatGPT, le concept de « Narratives » de Robert Shiller entre dans une nouvelle ère. Une ère qui devrait bouleversait la finance de marché. En effet, le verdict des experts est quasi - unanime quant aux capacités de l'automate qui fait le buzz : bluffant. ChatGPT peut tout résumer, tout analyser, tout imaginer, de la manière que vous voulez. Du pain béni pour l'économiste de marché ou l'investisseur qui cherche des histoires à raconter afin de justifier ses paris ou ses actes manqués !
En fait, pas vraiment.
Suivre le monde en direct
Les acteurs de marché n'ont jamais vraiment manqué d'imagination pour expliquer hier, et prévoir demain. Ce n'était pas un problème pour eux, ils n'étaient donc pas spécialement demandeurs d'un robot de type ChatGPT. Au contraire, le verbe avait même fini par devenir un véritable cheval de bataille pour eux, puisque l'IA avait déjà mis la main sur le nombre. En effet, la puissance du Machine Learning combinée à la massification des données proposait désormais de suivre le monde en direct (OECD : weekly tracker of economic activity ; ECB : Using machine learning and big data to analyse the business cycle).
Les investisseurs pouvaient aussi compter sur une contribution de plus en plus active de nouveaux acteurs : les data - scientistes de marchés, capables de dénicher des variables susceptibles de prévoir les marchés. Aujourd'hui, la finance est un peu revenue de cette pratique intensive, grâce à la publication de travaux académiques (C. Harvey & Y. Liu, A Census of the Factor Zoo, 2019) relevant de multiples biais dans la recherche intensive de variables prédictives, comme l'abus de corrélations mis en évidence ou la fragilité des tests de robustesse. Mais ces ratés ne suffisaient pas à changer le sens de l'histoire : toujours plus d'IA dans les décisions d'investissement.
Jusqu'à présent, il ne restait donc que l'art du récit comme seule forteresse à priori imprenable par l'IA. Mais depuis qu'elle a dressé son propre pont - levis ChatGPT, la donne a changé. Passé l'effet de sidération provoqué par les capacités extraordinaires du robot, la finance de marché est aujourd'hui sommée de se réinventer ou de se recycler. Au risque de disparaitre ?
Il est bien évidemment trop tôt pour tirer des conclusions aussi hâtives. De la même façon qu'il existe toujours des camionneurs alors qu'on avait prédit la « disparation de l'espèce » incessamment sous peu. Depuis, de nombreuses problématiques sont apparues. Mais, il est certain que les acteurs de la finance de marché perdent de plus en plus de cordes à leur arc, et la dernière n'est pas des moindres : l'art du récit. Peut être que la finance de marché parviendra à faire une place raisonnable à ChatGPT, imaginant alors un Homme de la finance « augmenté »...
La question existentielle de la finance « augmentée »
Il ne s'agit pour l'instant que de spéculations, mais tirons le fil jusqu'au bout. L'Homo economicus pratique à l'occasion la finance spéculative, plus rarement la philosophie spéculative. Pourtant la perspective de perdre autant d'aptitudes « naturelles », et de les remplacer par d'autres plus « virtuelles », pourrait le faire douter quelque peu, jusqu'à provoquer quelque angoisse existentielle. Sera-t-il toujours le même une fois reformaté ?
Il s'agit d'une expérience de pensée particulièrement efficace pour comprendre le problème d'identité qui pourrait se poser à l'Homme de la finance augmenté : le bateau de Thésée.
« ...Ils en ôtaient les vieilles pièces, à mesure qu'elles se gâtaient, et les remplaçaient par des neuves qu'ils joignaient solidement aux anciennes. Aussi les philosophes, en disputant sur ce genre de sophisme qu'ils appellent « l'argument de la croissance », citent ce vaisseau comme un exemple de doute, et soutiennent les uns que c'était toujours le même, les autres que c'était un vaisseau différent »
Karl Eychenne
- Le bateau de Thésée comme métaphore du transhumanisme
- Dans Humanisme 2017/3 (N° 316), pages 19 à 24
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Hanté depuis toujours par le rêve de dépasser ses limites, l’homme s’est constamment efforcé de maîtriser la Nature et sa propre nature physique et mortelle. Tout en fantasmant sur un « au-delà de l’homme », qui lui ouvrirait les portes d’une jouvence infinie. Éminemment positive en ce qu’elle a permis les avancées prodigieuses de la Science et des techniques, cette ambition s’avérerait-elle démesurée, lorsqu’il s’agit d’« augmenter le corps », d’entrer dans l’ère du transhumanisme ? Il prône la modification à l’infini des éléments constitutifs du corps, donc son « augmentation » grâce aux constants progrès scientifiques, dans les domaines de la génétique, des neurosciences, de l’informatique. En cela, il dépasse le « simple progrès » technologique et requiert une nécessaire vigilance sur ses enjeux éthiques sous-jacents. Car, derrière le transhumanisme, se profilent le « posthumanisme » et une rupture dans la conception même de ce qui constitue l’homme, le dessein étant de faire advenir une nouvelle espèce.
1 Les Anciens Grecs ne s’y trompaient pas, qui rejetaient la démesure de l’hubris comme fauteuse de monstres. Leurs mythes regorgent de mortels qui, s’étant indûment hasardés à briguer l’immortalité des dieux, se voient condamnés aux pires supplices.
2 Le propos transhumaniste s’ancre dans l’innovation apparemment infinie des technologies qui seraient à même de résoudre toutes les insuffisances du corps. Mais, par sa revendication à une forme inédite d’immortalité, qui pose la négation implicite de la mort, ne remet-il pas en cause la conception même de l’humanité dans l’Homme, dans sa relation à l’Autre, à ce qui fonde la société dans ses principes de Liberté, d’Egalité, de Fraternité et de Solidarité ?
3 D’où la question fondamentale : jusqu’où aller dans la réparation, la transformation et l’« augmentation » de l’humain sans qu’il y perde son humanité ? Et en quoi consiste-t-elle ?
4 Y aurait-il des invariants dans ce qui fonde l’homme, l’humanité que son suffixe même définit comme un état immuable, en regard de son dépassement potentiel, l’humanisme lui aussi connoté par son suffixe de changement et d’action ?
5 Prenons le détour métaphorique du bateau de Thésée, objet de piété athénienne.
6 Plutarque, Vie de Thésée, 15, nous raconte le combat victorieux du héros contre le Minotaure, monstre dont il débarrasse la Crète, mettant ainsi fin à la servitude d’Athènes à l’égard du roi de Crète Minos, qui exigeait l’octroi annuel de sept jeunes gens et sept jeunes filles, en guise de nourriture pour le monstre.
7 « Le vaisseau sur lequel Thésée s’était embarqué avec les autres jeunes gens, et qu’il ramena heureusement à Athènes, était une galère à trente rames, que les Athéniens conservèrent jusqu’au temps de Démétrios de Phalère (IVe s. av. JC). Ils en ôtaient les vieilles pièces, à mesure qu’elles se gâtaient, et les remplaçaient par des neuves qu’ils joignaient solidement aux anciennes. Aussi les philosophes, en disputant sur ce genre de sophisme qu’ils appellent « l’argument de la croissance », citent ce vaisseau comme un exemple de doute, et soutiennent les uns que c’était toujours le même, les autres que c’était un vaisseau différent » (id. 23).
8 Les philosophes, toutes époques confondues depuis l’Antiquité jusqu’à Hobbes (De Corpore, III, 11, 1655) et Leibniz (Nouveaux Essais sur l’entendement humain, 1705), se sont emparés de cette réflexion qui pose les termes de ce qui constitue l’identité ou la différence, la permanence et le changement.
9 La tradition populaire a elle aussi formulé cette question essentielle en un avatar plaisant, le fameux couteau dont on change alternativement le manche et la lame, mais qui demeure le même couteau, qu’on l’attribue à St Hubert ou à Jeannot.
10 En quoi ces constants ajouts modifient-ils la nature même de l’objet ?
11 La question est d’importance : jusqu’où peut-on s’avancer ? Dans ce bateau de Thésée, dont il ne resta bientôt aucun élément d’origine, doit-on voir encore le bateau du héros ou un tout autre bateau ? Le changement de matière implique-t-il dès lors un changement d’identité ou bien l’identité est-elle conservée hors de la matière ?
12 Pour l’homme « augmenté », le problème se pose dans des termes similaires, l’homme transformé par la technologie reste-t-il humain ? Le corps humain ressemble à un bateau de Thésée dont les éléments constitutifs, les cellules, sont en renouvellement permanent. Dès lors, qu’est-ce qui importe sinon le maintien de leur organisation et de leur structure ? Peut-on parler d’immuabilité de la nature humaine ? Notre humanité est-elle liée à notre enveloppe biologique, ou bien participe-t-elle d’un tout qui la dépasse ?
Le corps réduit à sa dimension mécaniste
13 Laissons volontairement ce qui relève de la « réparation », c’est-à-dire de la restauration du corps, sinon dans son strict état de santé et de jeunesse antérieures, du moins dans une amélioration conséquente des conditions d’existence quotidienne, au fil de l’âge. Elle relève d’une médecine de prévention, de prothèse et de réadaptation, qui cherche à rétablir l’équilibre compromis, à prolonger la mobilité et la durée de vie en bonne santé d’un être humain, mais sans nier les effets du vieillissement, de l’usure du corps.
14 Laissons aussi le détail de tous les objets connectés « intelligents », qui ont envahi le quotidien pour évaluer, entre autres, nos conditions physiologiques et en inférer des conseils de santé. Même si on peut émettre les plus grandes réserves sur les vecteurs de la nouvelle technologie qui, en favorisant une potentielle libération, permettent aussi un conditionnement de surveillance et de contrôle.
15 Revenons au propos transhumaniste et son amélioration constante de l’homme corporel. Le corps, ainsi réduit à sa dimension mécaniste, est nié dans sa dimension de consomption charnelle, sa fragilité fondamentale, mais aussi sa réalité spécifique à chaque individu.
16 Dans l’argument platonicien du Gorgias, 493a, le corps « soma » est peut-être « sèma, tombeau » de l’âme, stricto sensu ce qui marque sa sépulture, en grec, mais il est d’abord « sèma, signe », ce qui donne à voir la perception du monde et sa représentation. En cela, le corps est médiateur de signification, propre à chaque individu dans ses originalités plurielles, dont il garde l’empreinte tout au long de sa vie. Comment imaginer, dès lors, que les empreintes puissent être véhiculées lors de « changements de pièces » successifs ?
17 Comment y insérer un esprit qui y trouve place et équilibre ? Comment adapter une pensée cohérente à un corps en successives manipulations ? Quid de l’affectivité et des émotions qui cimentent notre relation aux autres ?
18 Ainsi, plus grave est la question du rapport de l’homme à ce qui l’entoure, à la société dont il est, qu’il le veuille ou non, un des tenants. Or le projet transhumaniste est essentiellement individualiste, en ce qu’il revendique la liberté absolue d’être « augmenté », pour l’individu qui le désire, quels qu’en soient le coût, les conséquences éthiques et sociales. Une performance en libre accès, en libre service, par tous moyens scientifiques et technologiques. On n’est pas là dans le projet de perfectibilité de l’Homme, issu des Lumières, qui ne peut s’inscrire que dans une émancipation de la société tout entière.
19 On trouve plutôt une inquiétante illustration des pires figures nées de l’imagination de Huxley dans son Meilleur des mondes. Il n’est qu’à approcher les recherches chinoises en matière de dysgénisme, par lequel le BGI (Beijing Genomics Institute) prétend réformer le monde par la fécondation in vitro des gènes de quotient intellectuel (QI) supérieur à 160. On en frémit déjà, face à l’absence totale de réflexion éthique sur les conséquences qu’induit une recherche déjà bien avancée. Sachant aussi que, le monde ayant évidemment besoin d’esclaves pour les tâches triviales, le nombre de laissés-pour-compte ne risque pas de s’amenuiser. Conséquences collatérales du Progrès d’une telle humanité ?
Vie et mort, l’humaine condition
20 Revendiquer l’autonomie, ce n’est pas seulement être propriétaire d’un instrument performant que serait le corps constamment augmenté, modifié. C’est aussi inscrire son existence dans une histoire collective, avec ses ruptures, ses refus et ses acceptations, ses dépassements et ses transgressions. C’est percevoir une finalité qui ne soit pas dans une fausse liberté d’individualisme et d’égoïsme.
21 Pourquoi rechercher la perfection d’un corps interchangeable, jamais usé ? Un peu comme ces femmes, dont on ne se prive pas de se gausser d’ailleurs, qui sont entièrement « refaites » par la chirurgie esthétique, dans une insatisfaction perpétuelle, une course à une perfection névrotique. Ridiculement sans âge.
22 Le corps ne saurait être un objet extérieur à soi, qui ne s’inscrirait pas dans un ordre symbolique. de la naissance à la mort. « Quatre pattes, deux pattes, trois pattes », répond Œdipe à la Sphinge de Thèbes…
Le rapport à la fragilité
23 Pourquoi refuser la fragilité essentielle de l’humain, le vieillissement, la maladie, le handicap ? En d’autres termes, la différence ? C’est cette fragilité qui nous oblige à prendre conscience que nous avons besoin de l’Autre pour nous construire, nous protéger, nous soigner. Une forme d’interdépendance essentielle, perçue comme une tare que le transhumanisme prétendrait gommer par la réparation technoscientifique, dans le rêve d’une auto-suffisance physique et mentale qui effacerait la nécessaire solidarité.
24 Pourquoi refuser la fragilité du corps, son allégeance au hasard et à la nécessité, cette intensité de l’urgence qui naît du risque de vivre et de mourir ? À ne pas vouloir mourir, on en perd l’intérêt de vivre. Là encore, les mythes antiques nous décrivent des dieux, olympiens et autres, qui s’ennuient « à périr » faute de pouvoir meubler le temps de leur immortalité, et qui n’ont d’autre remède à leur ennui que le spectacle de combats et de morts qu’ils suscitent chez les terriens…
25 Or, notre rapport à la finitude ne sera pas totalement effacé par l’addition de technologies quelle qu’en soit la puissance.
26 Montaigne, toujours lui, pose l’équation de la mort et de la liberté : « La préméditation de la mort est préméditation de la liberté. Qui a appris à mourir, il a désappris à servir. Le savoir mourir nous affranchit de toute sujétion et contrainte. Il n’y a rien de mal en la vie pour celui qui a bien compris que la privation de la vie n’est pas mal ».
27 Se libérer de la servitude du corps, certes. Mais pour quelle autre servitude ?
Même et différent
28 Notre corps se modifie, par nature et par accidents, tout au long de notre vie, mais nous avons la conscience d’une permanence édifiée, personnelle, spécifique, unique. Diachronique au fil de notre vie, en synchronie à chacune de ses étapes, grâce à, à cause de, par et pour autrui qui contribue à nous constituer ce que nous sommes. Cet autre qui nous permet la vigilance et la conscience active de soi, par le regard mutuel que nous nous portons. Nous n’existons que parce que nous sommes dans cette interaction avec l’autre, dans l’imagination que nous en avons.
29 Prétendre améliorer constamment le corps et en augmenter les performances contribue à brouiller les repères de l’âge, des générations, de sa propre place dans un équilibre mental et social. En faisant peut-être fi de la responsabilité au sens propre, c’est-à-dire le jeu des réponses que le monde présent attend à son questionnement. Or l’identité de chacun, dans l’espace et dans le temps, qualitative et quantitative, passe essentiellement par la conscience de cette responsabilité humaine et collective.
« L’homme qui vivra mille ans est déjà né… »
30 Posons, pour conclure, l’hypothèse que l’affirmation de Laurent Alexandre, grand prêtre du transhumanisme, est vraie. Même s’il ne s’agit pas stricto senso d’immortalité mais d’une longévité prolongée hors de toute imagination, et au-delà de la remarque naïve que personne ne sera encore là pour le constater…, quelle solitude que celle de cet humain encombré d’une histoire impossible à digérer, dans une société sans diachronie ni synchronie ! En définitif et irrémédiable décalage entre lui et les autres, entre lui et lui-même.
Le vaisseau de Thésée fut conservé pendant des siècles à Athènes. À cause de l’usure du temps, les planches gâtées, les pièces abîmées furent remplacées et ajustées au navire, jusqu’à ce que l’intégralité du navire soit changé.
Les philosophes s’interrogèrent alors : était-ce toujours le même ou était-ce un bateau différent ?
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2006 LA BIENNALE ON LINE 3000 DE FRED FOREST EN CONCURRENCE DIRECTE AVEC LA BIENNALE OFFICIELLE DE SAO PAULO
BIENVENUE A LA BIENNALE 3000
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FRED FOREST ET DES ARTISTES BRESILIENS LANCENT LA BIENNALE 3000
UNE BIENNALE POUR LE FUTUR : SANS COMMISSAIRE, SANS BUDGET, SANS LIEN AVEC LA SPECULATION QUI SEVIT DANS L'ART DU MARCHE.
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La défaite du Brésil à la dernière coupe du monde a laissé un goût d’amertume, voire de colère, dans le cœur de tous ceux qui aiment ce pays. Le Président Lula, lui-même, s’est laissé aller à des propos peu amènes à l’égard de ceux qu’il estime responsables de cette catastrophe que beaucoup jugent nationale. Le sport contribue en effet aujourd’hui autant que le politique au prestige d’une nation. Le sport, la culture et l’art sont également des vecteurs de rayonnement non négligeables. Le Brésil, avec la prochaine 29e Biennale de Sao Paulo, joue une carte décisive pour redorer le blason d’un pays en plein développement qui mérite un rôle premier au plan international. Qu’en est-il par ce que nous en savons déjà par sa préparation ? L’affaire il y a un an à peine était déjà mal partie. Personne de volontaire pour en assurer la présidence et essuyer les plâtres au point que moi-même, soutenu par un bon nombre d’artistes brésiliens, je présentais ma candidature. Il fallait voir dans cette initiative au-delà de son ironie, bien entendu, des propositions sérieuses répondant à une nécessité de démocratisation de l’art. Une démocratisation de l’art et de ses structures, traditionnelles et élitaires, dans un pays où le Président est, lui-même, issu des couches populaires. Des structures sclérosées, gangrénées, comme pour foot ball par l’argent-roi, le manque d’éthique, la spéculation et les manipulations en tous genres.
Situation intenable à long terme avec son cortège de fausses valeurs générées par un marché international dont les figures emblématiques portent pour nom Jeff Koons et Damien Hirst...
Le Brésil à mieux à faire avec son expression politique ancrée dans les couches populaires profondes qu’à suivre à la lettre et d’une façon servile les ordres du marché, dictés par Wall Street à travers les grands collectionneurs.
Avec le démarrage du 3ème millénaire et la refondation qui s’amorce des valeurs, le Brésil, mieux que tout autre pays, est appelé jouer un rôle moteur dans le changement de civilisation qui s’amorcent, et dont les signes se multiplient avec la crise économique et morale qui frappe le monde.
Après le football quelles sont donc les chances de la 29 ème Biennale dans ce sens ?
Après la difficulté de trouver un candidat pour assumer le rôle de Président, dont personne ne se risquait à briguer l’honneur, le candidat pressenti, et nommé, finalement, a fait l’objet d’une vive polémique. On évoquait le conflit d’intérêt du fait du rôle actif et de l’implication de son épouse dans le marché de l’art. Mais à défaut d’un autre candidat, les instances décisionnaires furent bien obligées de s’en accommoder, bon gré mal gré...
Le staff des commissaires fût nommé et comme on estimait que la tâche serait très lourde à supporter on mit deux universitaires au commandement à la tête d’un équipage hétéroclite. La présence de ces deux commissaires n’a nullement clarifié un propos sur l’art rendu plutôt confus, et où les velléités d’illustrer un débat autour de l’art et du politique ont tourné court et sont passées à la trappe.
Mais le reproche le plus fort que nous pouvons adresser à cette 29 ème Biennale, c’est de rester délibérément ancré dans les formes de présentation et les structures organisationnelles d’un passé révolu, si l’on en juge par les transformations drastiques qui affectent le monde.
Il suffit de regarder autour de nous pour constater l’impact des techniques et des sciences, sur la vie de chacun, et combien au niveau même du quotidien la vie de tous est radicalement changée par la généralisation et la miniaturisation des moyens de communication. Ce que Vilem Flusser avait déjà, en visionnaire averti, avec quelques artistes des années 70 mis en exergue et analysé.
Je prends le pari que les objets présentés dans cette biennale ne seront représentatifs que d'un passé déjà révolu dans leur dispositif comme dans leur fonction. Qu’ils ne traduiront pas les formes de la vie qui sont devenues désormais les nôtres et dont les divers utilisations d’Internet ne sont qu’un exemple parmi d’autres. Touchant au social, au médical, au travail, aux vacances, à l’économie, à la gestion du savoir et à je ne sais quoi d’autre encore ?
Toujours par anticipation, en 1975, j’avais proposé pour la XIII biennale de Sao Paulo en 1975, la Biennale de l’an 2000...
En 2006 pour la 27ème Biennale je proposais sans succès à Lisette Lagnado commissaire une Biennale alternative sur Internet surnommée Biennale 3000
En 2008 pour la 28 ème Biennale, j’ai proposé à Ivo Mesquita la Biennale de l’an 3000. Une biennale en ligne vraiment représentative de notre temps.
Sachant que la persévérance paye toujours à long terme, je propose cette année une Biennale 3000 relookée et opérationnelle qui a reçu déjà les travaux de plus de 3000 participants...
http://www.biennale3000saopaulo.org/
Une Biennale démocratique, sans commissaire , où l’effet de libre participation et de réseau social, répond aux aspirations, aux orientations et aux tendances les plus actuelles. Une Biennale sans les lourdeurs politico-administratives des grosses machineries institutionnelles er économiques. Une biennale sans budget autogérée par les artistes eux-mêmes
Une Biennale qui requiert l’éthique d’une société nouvelle. Société dans laquelle l’art joue un rôle de régulation critique par rapport à l’arbitraire des pouvoirs de toutes sortes Une biennale enfin qui pratique la transparence par rapport aux compromissions et spéculations du marché
Faites-vous à titre individuel ou collectif le propagandiste de son succès dont la communication virale démontrera que les artistes et les hommes et femmes de bonne volonté sont capables de détourner les pouvoirs indues et abusifs pour instaurer une société meilleure.
ARTISTES MANIFESTEZ VOTRE COHESION DANS L'ACTION EN PARTICIPANT A LA BIENNALE 3000
DIFFUSEZ LA PAR TOUS LES MOYENS DONT VOUS DISPOSEZ
SON URL :
http://www.biennale3000saopaulo.org/
Biographie longue de Fred Forest
Fred Forest a une place à part dans l’art contemporain. Tant par sa personnalité que par ses pratiques de pionnier qui jalonnent son œuvre. Il est principalement connu aujourd’hui pour avoir pratiqué un à un la plupart des médias de communication qui sont apparus depuis une cinquantaine d’années. Il est co-fondateur de trois mouvements artistiques : ceux de l’art sociologique, de l’esthétique de la communication et d’une éthique dans l’art.
Il a représenté la France à la XIIème Biennale de São Paulo - Prix de la communication - en 1973, à la 37ème Biennale de Venise en 1976, à la Documenta 6 de Kassel en 1977 et a été exposé au CENTRE POMPIDOU en 2017 et 2024.