Le M2 artistique au Crillon
Après sa première publication du M2 dans la presse notamment dans le journal Le Monde Fred Forest lance avec une nouvelle annonce de presse dans le monde, un appel d’offre international d’achat par soumission pour la vente au plus offrant d’un M2. Cette procédure économique rare permet d’adresser une proposition d’achat à l’huissier désigné, sous forme d’une enveloppe cachetée.
Sommaire :
- 1977 Le Crillon
- 2022 Le M2 artistique de Fred Forest
- 1977 M2 artistique au Crillon
- 1977 LE MÈTRE CARRE ARTISTIQUE
- 2019 Le M2 artistique
1977 Le Crillon
Après sa première publication du M2 dans la presse notamment dans le journal Le Monde Fred Forest lance avec une nouvelle annonce de presse dans le monde, un appel d’offre international d’achat par soumission pour la vente au plus offrant d’un M2. Cette procédure économique rare permet d’adresser une proposition d’achat à l’huissier désigné, sous forme d’une enveloppe cachetée.
Au jour fixé ce dernier procédera à l’ouverture de toutes les enveloppes reçues et le marché sera offert au plus offrant. C’est Maître Le Marec huissier de justice à Paris qui a été chargé par l’artiste pour mener à bien l’opération en conformité avec la loi.
Mais Fred Forest en quelque sorte expert en médiatisation sait pertinemment que le lieu où sera procédée l’ouverture des enveloppes est un facteur de toute première importance dans son dispositif pour sa réussite.
Il contactera un à un tous les palaces Parisiens et trouvera enfin un arrangement à l’amiable avec l’Hôtel Crillon place de la Concorde. Il organise alors un débat public entre des critiques d’art, des Juristes de tout premier plan et des professionnels de l’immobilier afin de déterminer au plus près le statut auquel appartient le M2 carré. Il active la communication en adressant des communiqués à toute les professions concernées qu’il fait transiter par l’AFP.
Au jour donné pour l’ouverture des enveloppes, un public nombreux se presse dans le grand salon du Crillon où l’artiste a ménagé sur un podium une grande table autour de laquelle ont pris place les différents experts. Dont le représentant de la FNAIM, l’avocat représentant Maître Paul Lombard, Maître Jean-Claude Binoche, Philippe Lette avocat international, Stéphane Rona Directeur de la revue Belge + - 0, Hervé Fisher artiste. Bien qu’en voyage aux Indes, Pierre Restany sera lui-même présent sous forme d’une vidéo transmission depuis les Indes.
Mais l’huissier se fait attendre, quand il arrive enfin, c’est pour prendre la parole et déclarer que le Procureur de la République vient de lui signifier l’interdiction de procéder à l’ouverture des soumissions. Pris de panique, sous les feux des nombreux photographes présents il ne prend même pas le temps de faire signer une décharge à Fred Forest et quitte la salle en courant, jetant au sol derrière lui un paquet d’enveloppes. L’artiste et ses amis présents les ramassent et Forest déclare que devant la défaillance des agents de la force publique il ouvrira lui-même les enveloppes sous son contrôle.
Un bureau constitué par des amis proches de l’artiste (La famille Charpentier) procède à l’ouverture, classe rigoureusement les participations et remet les soumissions à Forest qui en donne lecture. Premier incident qu’il n’a pas prévu, un artiste du nom de Paolo Calia dont la pratique artistique consiste à reconstituer des tableaux historiques avec des personnages vivants, débarque dans la salle tenant par la main une comédienne sensée représenter la Joconde. De la table des experts Maître Binoche lance aussitôt un tonitruant : « Mettons la Joconde en vente ! » L’ouverture des enveloppes se poursuit à un rythme accéléré devant un public mélangé parmi lequel des autonomes (militants gauchistes) lançant avec une certaine violence leurs slogans habituels contre les tenants du capitalisme. Quand soudain se font entendre plusieurs explosions parmi le public avec les mises à feu commandées par un groupe de Punks dont le très célèbre Titus, toujours vêtu de son battle-dress. Une fumée épaisse se répand dans la galerie de réception que la panique a vidée en quelques secondes. Des CRS appelés en renfort par la direction débarquent, matraque en main, sur les moquettes du Crillon et font de la réception leur place forte. Téléphonant dans les étages où des punks en verve effarouchent des femmes de chambre. Finalement, une partie du public rejoint de nouveau la grande galerie où Forest, imperturbable, poursuit la lecture des offres. Les punks reviennent sur lui et tente vainement de lui verser une bouteille de ketchup sur le crâne. Une bouteille saisit dans la cuisine voisine. Il sait que c’est gagné pour lui : le lendemain ce sera un déferlement dans la presse. Il se félicite d’avoir pu mobiliser les CRS eux-mêmes dans son action comme figurants. Trois commissaires l’interrogent dans le bureau du directeur. L’art sociologique a désormais le vent en poupe… Une pleine page de LIBE comme dernière de couverture le lendemain confirme ce jugement.
2022 Le M2 artistique de Fred Forest
06/10/2022
Cette « œuvre » se constitue d’une succession de faits et d’événements qui rendent au premier abord malaisée la lecture dans son ensemble, compte tenu de sa complexité. Le projet démarre sous le nom du Mètre carré artistique pour se poursuivre en Mètre carré non artistique et se prolonger par l’« Appel d’offre international. Spéculation M2 artistique » publié dans la presse. De plus, notons que cette notion de « mètre carré artistique » sera le point d’amorce thématique de nombreux autres projets du Territoire du mètre carré à Anserville (à partir de 1980) au Territoire des réseaux en 1996 et sera par conséquent cité chaque fois d’une façon indépendante en fonction des dates de réalisation.
Le propos de l’artiste avec cette œuvre qui durera tout au long de sa vie étant de créer un narratif qui, selon les époques et les évolutions sociales et techniques, sera de créer sous forme de séquences des moments illustrant l’actualité au sens large du mot.
LE MÈTRE CARRÉ ARTISTIQUE
Au début de l’année 1977, Fred Forest crée une société civile immobilière dite du « mètre carré artistique »,dont les statuts sont déposés légalement devant notaire où il procède à l’ouverture d’une SCI, (Société civile immobilière) puis achète un terrain situé sur la commune de Filingues, près d’Annemasse à un agriculteur. D’une surface de vingt mètres carrés, divisée en vingt parcelles égales, il aura recours à un géomètre du cadastre pour opérer la parcellisation.
Quelques semaines plus tard, est publié dans le quotidien Le Monde daté du 10 mars 1977, un encart publicitaire intitulé « Placez vos capitaux à deux pas de la frontière suisse », avec pour objectif la mise en vente de « mètres carrés artistiques », correspondant aux parcelles inscrites au cadastre du terrain acquis par l’artiste, dans le cadre d’une vente aux enchères prévue le 22 mars 1977, à l’Espace Cardin, à Paris. Cette « œuvre » sera numérotée initialement 83 bis « M2 artistique », dans le catalogue. Le lendemain de la publication de l’offre par voie de presse, l’artiste est convoqué par les services de la répression des fraudes auprès du ministère de l’intérieur, suspecté de publicité mensongère. Un rapport est rédigé, à la demande du procureur de la République, par des brigadiers de la gendarmerie d’Annemasse s’étant rendus sur les parcelles de « mètres carrés artistiques », attestant le caractère non artistique du lieu. Il ne faut pas omettre de mentionner que ce placard publicitaire a été publié à la demande de l’artiste, et non sans difficulté, non pas dans les pages à l’époque dévolue à l’art mais dans celle de l’économie afin que la transgression soit encore plus grande. Forest à dû passer plus de deux ans pleins pour faire accepter sa publicité et avoir de nombreux rendez-vous avec son administrateur Jacques Sauvageot qui s’est avéré avec beaucoup d’humour être un complice très utile, afin de convaincre le Directeur des rédactions, opposé fermement au projet, sous prétexte qu’un journal sérieux comme Le monde ne pouvait s’adonner à de telles fantaisies…Jacques Sauvageot me souffla à l’oreille la solution qui était, selon lui, la meilleure façon de faire fléchir les résistances du côté de la rédaction en chef. Vous devez obtenir un autre partenaire national pour faire votre action. Cela rassurera dans la maison tous ceux qui sont opposés à votre publication. Me voici donc sans entregent, parti en quête d’un parrainage. Ne pouvant une fois de plus ne compter que sur moi-même, j’ai donc eu recours nécessairement à mon imagination. J’ai démarché successivement France Soir, Le Parisien, l’Aurore, sans succès et sans résultat. J’ai donc pensé aux radios nationales où Jacques Paoli avait une émission quotidienne de forte écoute qui se nommait Carré bleu. Carré bleu et mes carrés blancs devaient fonctionner en parfaite synergie
L’affaire était dans le sac !
LE MÈTRE CARRÉ NON ARTISTIQUE
Suite à cette mise en doute de la qualité et du statut artistique de la proposition de Forest, ce dernier fait connaître l’affaire par communiqué de presse, engendrant l’édition de brèves et d’articles dans les journaux généralistes et économiques, relayant la décision.
Le 20 mars 1977, sur ordre du Parquet, la Chambre de Discipline des Commissaires-priseurs interdit à Maître Binoche de procéder à la vente du « mètre carré artistique », ce qui amène Fred Forest à proposer, en remplacement, un « mètre carré non artistique » (numéroté 83 ter dans le catalogue des ventes), à savoir une pièce de tissu blanc, d’une surface d’un mètre carré, dont l’artiste précise le coût d’achat, soit cinquante-neuf francs. Ce textile fut déposé au sol, à l’entrée de la salle des ventes, se faisant ainsi piétiner par les auditeurs et participants, puis fut mis en vente, pour atteindre en ultime enchère, le prix de six mille cinq cent francs.
On aura bien compris qu’au titre de l’art Fred Forest détourne les règles que régit la loi et opère la mutation d’un terrain sans valeur au statut d’œuvre d’art. Plongeant dans l’embarras le Procureur et les gardiens de la loi devant ce cas d’espèce dont la nature échappe à leurs critères habituels. Ce faisant Fred Forest crée un événement en alertant la presse par des communiqués qui ne tardent pas à faire leurs effets car cet artiste qui travaille avec les outils de la communication moderne et non plus avec le pinceau est avant tout un producteur génial d’événements.
Cette action est prolongée quelques mois plus tard. Le 20 septembre 1977, Le Monde publie un second encart publicitaire produit par Forest, intitulé « Appel d’offre international. Spéculation M2 artistique ». Il lance un appel d’offre international : une technique financière innovante qui a permis à Antoine Riboud de devenir leader en France en s’appropriant le marché par une OPA célèbre.
Fred Forest a bien connu Antoine Riboud qui lui a rendu visite à son retour d’Algérie en banlieue Parisienne où ils avaient dû diner au sol sur un tapis, l’artiste démuni n’ayant pas un meuble chez lui…
Bref, dans son nouvel encart dans Le Monde l’artiste invitait, nouvelle provocation, les potentiels acquéreurs à retourner leurs promesses d’achat du montant de leur choix, avant le 15 octobre 1977. Cette annonce fut également publiée dans le quotidien allemand Frankfurter Allgemeine ; une tentative de parution dans les colonnes de Newsweek, aux Etats-Unis, fut en partie avortée, la direction du journal ne saisissant pas finalement la nature, ni le statut de l’annonce soumise par Fred Forest. Une conférence de presse présentant le projet et ses différentes étapes, est organisée dans les salons de l’Hôtel Crillon le 26 octobre 1977 ; les enveloppes, contenants les promesses d’achat, envoyées à Maître Le Marec, huissier de justice, sont tour à tour ouvertes et annoncées au public présent. La fin de la séance sera perturbée par l’intervention inopinée d’un groupe de « punks ». Commentaires de Fred Forest : « Appropriation de l’espace de l’information aux fins de faire passer un message critique sur les pratiques de la spéculation immobilière particulièrement florissantes à cette époque-là.
Le concept de l’action entreprise ici repose sur le montage d’un dispositif visant à créer une "œuvre-information" critique. Une œuvre qui prendra forme et existence dans le corps même de la grande information, utilisant pour ce faire les supports médiatiques nationaux. L’œuvre envisagée a pour objectif premier la dénonciation des pratiques de spéculation (liée à des scandales financiers particulièrement juteux à l'époque, dont ceux de la Garantie Foncière et des frères Willot, au nombre de quatre, surnommés les Dalton) en mettant en relation parodique la spéculation dans l'immobilier avec celle qui s'effectue d’une manière aussi effrénée que joyeuse dans le marché de l'art. En vue d’être en mesure de créer cet " événement " médiatique, l'artiste met en place une stratégie de communication [...] »
Cela aux fins de donner à cet art nouveau qu’il prône, une existence non confidentielle « Le " m2 non-artistique " comme nous l’avons dit n’est qu’un vulgaire morceau de chiffon blanc, acheté le matin même, pour la somme modique de 59 FF, revendu le soir avec une plus-value énorme ! Forest avec sa démonstration nous donne " à voir " les mécanismes de la spéculation, les mettant en scène avec leur propre rituel dans le lieu social et professionnel où ils s'effectuent habituellement.
La spéculation, en tant que telle, est remise en selle dans " l'espace médiatique ". Les plumitifs et les commentateurs s’en donnent à cœur joie. Dans l’ignorance la plus totale, ils contribuent à la création d’une œuvre d’art déjà historique. Les retombées de la presse, aussi bien écrite qu'audiovisuelle, sont considérables. La transgression du prix jouant encore un rôle dynamique comme l’avait déjà été celle des autorités officielles. Du fait de la sensibilité aiguë du point de vue médiatique à la circulation et au traitement de l'information dans nos sociétés, Forest a su détourner et " subvertir ", en les investissant de l'intérieur, les médias. Les asservissant à la cause de sa démonstration, c'est-à-dire à celle de son " œuvre ".
Une œuvre que l’on peut appréhender sous forme d'une constellation d'informations que son action fait émerger par la force du dispositif et de l'événement médiatique créés. »
Propos extraits du site personnel de l’artiste : target=_new>http://www.webnetmuseum.org
Copyrigth Fred Forest /ADAGP
Sources :
Archives INA – Fonds Fred Forest : AR E ORI 00013262 INA 14 ;
AR E ORI 00013262 INA 21 ; AR E ORI 00013262 INA 30
Documents présentés : extraits du catalogue de la vente aux enchères organisée à l’Espace Cardin (mars 1977) ; compte-rendu de l’ensemble de l’action (par Fred Forest) ; certificat d’authenticité établi par Pierre Restany ; compte-rendu du déroulement de la conférence à l’Hôtel Crillon.
1977 M2 artistique au Crillon
Ce projet mis en place dans les années 1977 doit se développer dans le temps, sans jamais être interrompu... jusqu'à la disparition de l'artiste. Aujourd'hui le Territoire "déménage" dans les réseaux et devient le "Territoire des Territoires" dans une suite logique, contingente à sa nature et à son propos, en rapport avec les théories de l'Art Sociologique et de l'Esthétique de la communication. (Voir notamment les textes à ce sujet de Pierre Restany et Annick Bureaud). Il s'agit là du passage du matériel au virtuel, puis le passage à l'art de réseau ! A l'origine, la nature même du concept de Territoire comme "œuvre ouverte", comme jeu de simulation et de communication, de caractère interactif, met le projet en situation d'évoluer en fonction des mutations de notre environnement et des développements technologiques. Ce projet fait lui-même suite aux péripéties médiatico-artistiques du "mètre carré". L'œuvre du "Territoire" se situe à 50 Kms au Nord-Ouest de Paris, dans la commune d'Anserville, département de l'Oise. Elle reste, malgré le déménagement opéré, le référent historique à tous les développements en cours. Elle se matérialise sous forme d'un terrain et d'un bâtiment dont l'ensemble constitue en soi un "Etat indépendant" qui ne répond qu'à ses propres règles et lois, lesquelles sont, bien entendu, établies et modifiées par l'artiste, qui décide des mesures à prendre en fonction des urgences du moment. Son étalon est le M2. Les bâtiments hébergent le "Pouvoir" et ses différents services. Les salles sont aménagées selon des fonctions, des symboles, des activités, propres à la pratique artistique. L'Administration Territoriale est assurée à tous les niveaux de décision et d'exécution par le Président-artiste qui cumule toutes les fonctions dans une perspective relevant du seul imaginaire instauré, généré et induit par le système lui-même. Après acceptation de l'Administration Territoriale il est possible de devenir citoyen à part entière du Territoire avec la souscription d'un mètre carré. Cette souscription donne droit aux titres afférents qui ont valeur de documents officiels signés de la main du Président-Artiste. Cette formalité remplie, les citoyens sont admis automatiquement à participer au jeu de communication initié qui se donne, aussi, comme un laboratoire d'idées pour le Futur. Ils peuvent se positionner comme acteurs "passifs" ou comme participants "actifs" au fonctionnement esthético-parodique du jeu. Dans tous les cas ils reçoivent des informations régulières sur la vie du Territoire qui "nourrissent" l'œuvre évolutive qu'ils détiennent. Avec le déménagement dans les réseaux et le passage au Territoire virtuel, la notion-même de "territoire" se trouve fondamentalement questionnée ! Le pied qui se pose sur son sol pour son appropriation ne peut plus être qu'universel et "planétaire". La notion de frontière se dissout comme un sucre dans un verre d'eau... Il nous faut réinventer notre façon de vivre, de sentir, de penser, de... partager avec les autres ! Il nous faut inventer le "Territoire des réseaux".
La phase du Crillon correspond à une vente d’1 M2 mis en vente par annonce de la presse sous forme de souscription mise en scène à Paris à l’Hôtel Crillon devant un comité d’expert qui donnera lieu à une série de rebondissements.
1977 LE MÈTRE CARRE ARTISTIQUE
ESPACE MÉDIATIQUE (presse écrite, radio, T.V.) HÔTEL LE CRILLON – ESPACE CARDIN, PARIS.
MARS-OCTOBRE 1977
CONCEPT :
Appropriation de l’espace de l’information aux fins de faire passer un message critique sur les pratiques de la spéculation immobilière particulièrement florissantes à cette époque-là.
Le concept de l’action entreprise ici repose sur le montage d’un dispositif visant à créer une "œuvre-information" critique. Une œuvre qui prendra corps et existence dans le corps même de la grande information, utilisant pour ce faire les supports médiatiques nationaux. L’œuvre envisagée a pour objectif premier la dénonciation des pratiques de spéculation (liée à des scandales financiers particulièrement juteux à l'époque, dont ceux de la Garantie Foncière et des frères Willot, au nombre de quatre, surnommés les Dalton) en mettant en relation parodique la spéculation dans l'immobilier avec celle qui s'effectue d’une manière aussi effrénée que joyeuse dans le marché de l'art.
En vue d’être en mesure de créer cet " événement " médiatique, l'artiste met en place une stratégie de communication dont l’axe s'appuie sur quatre points fondamentaux qui en constituent le socle :
- Création d'une société civile immobilière dans les formes légales devant notaire.
- Achat à la frontière suisse d'un terrain de 5m x 4m, divisé par un géomètre expert en 20 parcelles, baptisées :M2 artistiques inscrites au cadastre. Ces lopins de terre, de statut très particulier, seront " commercialisés " par la " Société civile immobilière dite du mètre-carré ".
- Publication dans le journal Le Monde, daté du 10 mars 1978 d'un encart publicitaire occupant un tiers de page, sous le titre : " Placez vos capitaux à deux pas de la frontière suisse ".
- Mise en vente d'une première tranche des "M2 artistiques" aux enchères publiques sous le marteau de Maître Jean-Claude Binoche à l'Espace Cardin au cours d'une vente d'art annuelle où sont proposés, entre autres, des tableaux de Picasso, Max Ernst, Fernand Léger, etc. Vente prévue pour le 22 mars 1977 à 21 heures.
Le lendemain de la publication de cet encart dans le journal Le Monde, Fred Forest est convoqué quai de Gesvres, dans les bureaux du service de la répression des fraudes au Ministère de l’Intérieur.
Il est interrogé longuement sur ses intentions et ses motivations, avant de se voir menacé d’une inculpation sous le chef de " publicité mensongère" en vertu de la loi Royer. Un des trois officiers de police présent lui mettant alors sous les yeux un rapport de la gendarmerie d’Annemasse, rédigé à la demande du Procureur de la République, attestant après visite du brigadier de gendarmerie et transport sur les lieux, que le terrain litigieux en question, n’avait rien, non rien, d’artistique ! L’artiste faisait alors remarquer respectueusement aux fonctionnaires de police qui l’interrogeaient qu’un gendarme n’a nullement qualité pour juger de la chose de l’art, n’étant nullement expert en ce domaine pour se prononcer.
Comme il est aisé de le comprendre toutes les conditions se trouvaient maintenant réunies pour créer l’événement et donner un véritable statut au " M2 artistique " de Fred Forest, avec la collaboration, inespérée et involontaire, d’un brigadier de la gendarmerie d’Annemasse… L’artiste au sortir du ministère de l’Intérieur se contentant, alors, d’expédier un simple communiqué aux agences de presse qualifiées. Le résultat ne se fit pas attendre : le lendemain, une avalanche d’articles dans la presse, notamment dans la presse économique.
Nouveau rebondissement jouant en la faveur de l’événement : deux jours avant la vente prévue et annoncée, la Chambre de Discipline des Commissaires-priseurs, sur l'ordre du Parquet, signifie à Maître Binoche l'interdiction de procéder à la vente aux enchères du "M2 artistique ". Devant cette décision incontournable et sans appel dans l’immédiat, Forest trouve une réplique adaptée, et propose en remplacement du "M2 artistique ", interdit à la vente, son remplacement pur et simple par le "M2 non-artistique " ! Un vulgaire morceau de tissu blanc, d’un mètre sur un mètre, qui sera acquis par un collectionneur pour le montant non-négligeable à l’époque de... 6 500 FF !
Entre temps, les Renseignements Généraux de Lyon sont chargés d'enquêter ! À cette occasion Henri Chambon de TF1 effectue le premier reportage sur le terrain. L’affaire s’étoffe. Le "M2 non-artistique " comme nous l’avons dit n’est qu’un vulgaire morceau de chiffon blanc, acheté le matin même, pour la somme modique de 59 FF, revendu le soir avec une plus-value énorme ! Forest avec sa démonstration nous donne " à voir " les mécanismes de la spéculation, les mettant en scène avec leur propre rituel dans le lieu social et professionnel où ils s'effectuent habituellement. La spéculation, en tant que telle, est remise en selle dans " l'espace médiatique ". Les plumitifs et les commentateurs s’en donnent à cœur joie. Dans l’ignorance la plus totale, ils contribuent à la création d’une œuvre d’art déjà historique. Les retombées de la presse, aussi bien écrite qu'audiovisuelle, sont considérables. Par sa sensibilité aiguë à la circulation et au traitement de l'information dans nos sociétés, Forest a su détourner et " subvertir ", en les investissant de l'intérieur, les médias. Les asservissant à la cause de sa démonstration, c'est-à-dire à celle de son " œuvre ". Une œuvre sous forme d'une constellation d'informations que son action fait émerger par la force du dispositif et de l'événement médiatique créés.
L'action du "M2 artistique ", activée par l'artiste, connaîtra des prolongements dans les mois suivants avec d’autres encarts publicitaires dans le journal Le Monde. Relancé sous forme d'un " appel d'offre international ", le "M2 artistique " connaîtra de nouvelles aventures, cette fois dans les salons de l'hôtel Crillon, réservés à l’art et la spéculation pour la circonstance.
2019 Le M2 artistique
DU M2 ARTISTIQUE, AU TERRITOIRE DU M2 ARTISTIQUE, POUR EN ARRIVER AU M2 PLANETAIRE …
Biographie longue de Fred Forest
Fred Forest a une place à part dans l’art contemporain. Tant par sa personnalité que par ses pratiques de pionnier qui jalonnent son œuvre. Il est principalement connu aujourd’hui pour avoir pratiqué un à un la plupart des médias de communication qui sont apparus depuis une cinquantaine d’années. Il est co-fondateur de trois mouvements artistiques : ceux de l’art sociologique, de l’esthétique de la communication et d’une éthique dans l’art.
Il a représenté la France à la XIIème Biennale de São Paulo (Prix de la communication) en 1973, à la 37ème Biennale de Venise en 1976 et à la Documenta 6 de Kassel en 1977.
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